Un apport peut être rémunéré uniquement par des bons de souscription d’actions
Posté le 29 juillet 2022
Un contrat portant sur la prise de contrôle d’une société prévoit qu’un associé de celle-ci transfère ses parts à la société acquéreur dont il devient salarié et qu’il recevra en contrepartie des bons de souscription d’actions (BSA) de la société acquéreur. Il précise que les BSA ne pourront pas être exercés pendant une durée de 5 ans et qu’ils seront caducs si pendant cette durée leur bénéficiaire perd sa qualité de salarié, sauf en cas de décès, de licenciement sans motif réel et sérieux, de licenciement pour motif réel et sérieux ou de licenciement économique. Licencié pour faute grave avant l’expiration du délai de 5 ans, l’associé demande l’annulation de l’opération d’échange de titres pour défaut de contrepartie.
La cour d’appel de Paris juge que le contrat ne s’analyse pas en un échange mais comme un apport, qu’elle annule toutefois pour prix inexistant (C. civ. art. 1591). En effet, la clause de caducité privait le transfert des parts de toute contrepartie, dès lors que cet événement restait de la seule compétence de la société acquéreur, même si le licenciement pouvait être contesté devant le conseil de prud’hommes. Dépendant en partie de la société acquéreur, le prix des parts sociales était indéterminable, et donc inexistant.
À noter
1o Traditionnellement, l’apport d’un bien à une société a pour contrepartie l’attribution de parts ou d’actions représentant une fraction du capital de la société bénéficiaire de l’apport. En pratique, la question s’est toutefois posée de savoir si un apport pouvait être rémunéré par des valeurs mobilières donnant accès à terme au capital tels que les BSA ou les obligations convertibles en actions (OCA).
La Cour de cassation a déjà qualifié d’apport une opération dans laquelle la contrepartie à un transfert d’actions correspondait à l’attribution d’actions à bons de souscription d’actions et d’OCA (Cass. com. 9-3-2022 no 20-14.773 F-D). Dans cette décision, la rémunération de l’apport des titres n’était pas exclusivement composée de titres de capital puisque seul le titre primaire des actions à bons de souscriptions pouvait recevoir cette qualification. En effet, les bons de souscriptions attachés aux actions et les OCA sont des valeurs mobilières qui ne confèrent qu’un droit d’option permettant d’accéder au capital à terme et pas immédiatement.
La décision commentée étend ici la qualification d’apport à une opération où la contrepartie n’est constituée par aucun titre de capital. Cette solution a déjà été retenue par les autorités de marché à propos de bons de souscription exerçables en fonction de la réalisation d’un chiffre d’affaires (Bull. COB janvier 2003 p. 74), puis reprise dans une communication sur les « apports d’actifs ou acquisitions rémunérés par des titres de créance complexes (ORA, OC) ou des bons de souscription d’actions » (Rev. AMF janvier 2004 p. 156).
2o Le régime de l’apport est soumis à des règles spécifiques ainsi qu’à certaines dispositions du droit de la vente dans la mesure où l’apport entraîne un transfert de propriété. Toutefois, l’attribution de droits sociaux ne constitue pas un prix de vente (Cass. com. 9-3-2022 précité). La cour d’appel de Paris ne pouvait donc pas annuler l’opération pour indétermination du prix sur le fondement de l’article 1591 du Code civil, alors qu’elle l’avait qualifiée d’apport.
3o La cour d’appel a ajouté « au surplus » que la clause de caducité était illicite car elle constituait une sanction financière interdite par l’article L 1331-2, al. 1 du Code du travail. La Cour de cassation juge que la clause d’un plan de stock-options qui prive un salarié de la faculté de lever ses options en cas de licenciement pour faute grave constitue une sanction pécuniaire illicite (Cass. soc. 21-10-2009 no 08-42.026 FS-PB). À notre avis, cette solution est transposable aux BSA. Toutefois, les sanctions financières interdites étant réputées non-écrites (C. trav. art. L 1331-2, al. 2), seule la clause de caducité du contrat et non l’apport lui-même pourrait éventuellement être annulée.
Source : CA Paris 17-2-2022 n° 21/00370
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