PACS : le remboursement d’un prêt immobilier peut relever de l’aide matérielle
Posté le 24 février 2021
L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 27 janvier 2021 mérite d’être signalé pour les précisions qu’il apporte dans un domaine rarement évoqué en jurisprudence : l’aide matérielle entre partenaires pacsés.
En l’espèce, en 2003, deux concubins, M. V. et Mme L. avaient acquis en indivision leur résidence commune. Cette acquisition était financée par deux prêts, chaque concubin ayant contracté un prêt à son nom. Quelques jours après cet achat, les deux concubins se pacsaient. Dix ans plus tard, le PACS était dissout et M. V. assignait Mme L. en liquidation de l’indivision existant entre eux. En particulier, M. V., qui avait remboursé les deux prêts avec ses deniers, entendait faire valoir une créance contre Mme L. au titre du remboursement, pendant la durée du PACS, du prêt contracté par celle-ci. La cour d’appel, considérant que les paiements effectués par M. V. participaient de l’exécution de l’aide matérielle entre partenaires a rejeté sa demande. M. V. a donc formé un pourvoi en cassation, pourvoi rejeté par l’arrêt sous examen.
L’aide matérielle entre partenaires pacsés est prévue par l’article 515-4 du code civil qui dispose : « Les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune, ainsi qu’à une aide matérielle et une assistance réciproques. Si les partenaires n’en disposent autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives ». Les questions relatives aux contours de cette aide matérielle sont quasiment absentes de la jurisprudence (v. toutefois, Civ. 1re, 21 nov. 2018, n° 15-16.331, inédit, Gaz. Pal. 2019, n° 14, p. 59, note P. Peltzman et Civ. 1re, 11 avr. 2018, n° 17-18.207, inédit, dans lesquels la Cour de cassation se prononce sur l’articulation entre le devoir d’aide matérielle et une action en enrichissement sans cause ; Paris, 9 nov. 2006, Dr. fam. 2007. Comm. 30, obs. V. Larribeau-Terneyre, pour des retraits d’argent liquide qualifiés de modalité du devoir d’aide matérielle) et il y a peu de littérature sur la question (pour une exception, X. Labbée, L’aide matérielle a-t-elle un caractère alimentaire ?, JCP 2008. I. 197). Il semble toutefois acquis que cette aide impose aux partenaires de participer aux besoins de la vie courante tels que le loyer du logement du couple ou les charges de copropriété, les cotisations d’assurance, les dépenses d’alimentation et vestimentaires, les dépenses de santé, etc. (en ce sens, Y. Flour in M. Grimaldi [dir.], Droit patrimonial de la famille, Dalloz Action, 2018-2019, spéc. § 511.43). Si l’analogie, inévitable, avec la contribution aux charges du mariage (C. civ., art. 214) amène à se demander si cette aide doit s’étendre aux dépenses relatives aux enfants communs malgré l’absence de « coloration familiale » du PACS et à celles de loisirs et d’agrément comme c’est le cas entre époux, il nous semble qu’une réponse affirmative s’impose (en ce sens, P. Chauviré, Le passif, Dr. et patr. 2013, n°221 ; Y. Flour in M. Grimaldi [dir.], Droit patrimonial de la famille, op. cit., spéc. § 511.43) même si les exemples jurisprudentiels manquent.
En revanche, un doute pouvait subsister concernant les dépenses liées à l’achat d’un bien immobilier et en particulier à propos du remboursement d’un prêt finançant l’acquisition du logement des partenaires (sur cette incertitude, Y. Flour in M. Grimaldi [dir.], Droit patrimonial de la famille, op. cit., spéc. § 511.43).
C’est ce doute que lève l’arrêt sous examen et c’est là son principal intérêt. En effet, selon la Cour de cassation, « la cour d’appel, qui a souverainement estimé que les paiements effectués par M. V. l’avaient été en proportion de ses facultés contributives, a pu décider que les règlements relatifs à l’acquisition du bien immobilier opérés par celui-ci participaient de l’exécution de l’aide matérielle entre partenaires et en a exactement déduit […] qu’il ne pouvait prétendre bénéficier d’une créance à ce titre ». C’est bel et bien admettre que le remboursement d’un prêt destiné à financer l’acquisition du logement des partenaires pouvait être une modalité de contribution à l’aide matérielle. L’analogie semble donc totale avec les modalités de la contribution aux charges du mariage prévue par l’article 214 du code civil laquelle peut également porter sur des dépenses d’acquisition immobilière (en ce sens, B. Vareilles, in M. Grimaldi [dir.], Droit patrimonial de la famille, Dalloz Action, 2018-2019, spéc. § 112.12).
Le parallèle avec les époux séparés de biens
Si on s’interroge sur la portée de la solution retenue, au-delà de la détermination des modalités de l’aide matérielle, il convient de souligner que, en l’espèce, les partenaires, pacsés sous le régime antérieur à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités se trouvaient en indivision. Néanmoins, la Cour de cassation ne fait aucune référence au régime auquel les partenaires étaient soumis. Il semble donc bien, et ce n’est guère surprenant pour un élément du « régime patrimonial primaire » (selon l’expression de MM. Terré et Simler, F. Terré et P. Simler, Les régimes matrimoniaux, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, §§ 878 s.) et d’ordre public (en ce sens, Cons. const. 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, Loi relative au pacte civil de solidarité, JO 16 nov., p. 16962 ; D. 2000. 424, obs. S. Garneri ; RTD civ. 2000. 109, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 870, obs. T. Revet) du PACS, que la solution adoptée ici par les juges concerne tous les partenaires pacsés quel que soit le régime des biens retenu.
Il importe alors de rappeler que, depuis 2006, le « régime légal » des partenaires est un régime de type séparatiste. On ne peut donc s’empêcher de faire le parallèle avec la situation des époux séparés de biens (pour une analyse comparative de ces situations, A. Karm, Le choix du régime patrimonial des partenaires en droit interne in V. Martineau-Bourgnignaud [dir.], Le PACS, 20 ans après !, Dalloz, 2020, spéc. n° 9, p.132 s.). Or on sait que la jurisprudence qui a admis que le financement de l’acquisition d’un bien indivis par un époux séparé de biens pouvait être une modalité de sa contribution aux charges du mariage suscite un fréquent contentieux lors du divorce (en ce sens, G. Champenois et N. Couzigou-Suhas, Contrat de mariage, charges du mariage et acquisitions indivises, Defrénois 2015. 367) et a été très critiquée (sur cette jurisprudence, v. entre autres, G. Champenois et N. Couzigou-Suhas, Contrat de mariage, charges du mariage et acquisitions indivises, Defrénois 2015. 367 ; B. Vareilles in M. Grimaldi [dir.], Droit patrimonial de la famille, Dalloz Action, 2018-2019, spéc. § 112.34 ; A. Karm, Le choix du régime patrimonial des partenaires en droit interne in V. Martineau-Bourgnignaud [dir.], Le PACS, 20 ans après !, op. cit., spéc. n° 9, p. 132 s.). Sans revenir en détail sur ces questions car ces courtes observations ne sont pas le lieu, on rappellera toutefois que la principale critique porte sur les effets dévastateurs de cette jurisprudence quand elle est associée à une clause du contrat de mariage réputant l’obligation de contribution réalisée au jour le jour, ce qui fait perdre à l’époux solvens tout espoir de récupérer les sommes dépensées, même en cas de contribution excessive au regard des facultés de chacun. Or, à notre connaissance, une telle clause n’est pas courante en matière de PACS (en ce sens, A. Karm, Le choix du régime patrimonial des partenaires en droit interne in V. Martineau-Bourgnignaud [dir.], Le PACS, 20 ans après !, op. cit., spéc. n° 9, p. 134) ce qui tempère les effets négatifs que pourrait présenter la solution retenue pour les partenaires.
Il semble par ailleurs admis qu’en cas de contribution à l’aide matérielle dépassant les facultés contributives du partenaire solvens ou la part qu’il aurait dû donner en vertu d’un aménagement du PACS (v. infra), une créance contre le partenaire ne serait pas exclue (en ce sens, A. Karm, Le choix du régime patrimonial des partenaires en droit interne in V. Martineau-Bourgnignaud (dir.), Le PACS, 20 ans après !, op. cit., spéc. n° 9, p.134).
En l’espèce, si on arrive à un résultat identique à celui de la jurisprudence critiquée plus haut et relative aux époux séparés de bien – le solvens ne pourra pas récupérer les sommes dépensées – c’est en raison du caractère très déséquilibré des facultés contributives des partenaires concernés (M. V. ayant perçu des revenus quatre à cinq fois supérieurs à ceux de Mme L. dont le compte-courant était régulièrement débiteur) et non par le jeu d’une clause contractuelle, ni même en vertu d’un accord tacite, point sur lequel il convient de dire un mot à présent.
L’accord des partenaires
En effet, il n’est pas inintéressant de relever que, pour justifier sa solution, la cour d’appel avait cru nécessaire de retenir qu’en l’absence d’éléments contraires apportés par M. V., la différence des facultés contributives des partenaires induisait selon les juges « qu’il a existé une volonté commune que ce dernier assumât la charge des échéances du crédit immobilier qui prévaut sur la présomption d’indivision régissant le PACS conclu le 26 septembre 2003 ». Or la Cour de cassation qualifie de surabondants les motifs de l’arrêt relatifs à l’accord des parties. Cela nous semble indiquer que, pour la Cour de cassation, l’accord tacite – réel ou supposé – des parties sur la répartition des charges est sans effet dès lors que la participation de chacun était proportionnelle à ses facultés, ce qui, selon l’appréciation souveraine de la cour d’appel, était le cas en l’espèce.
On peut néanmoins se demander ce qu’il en serait résulté si les facultés contributives avaient été plus « équilibrées ». Un accord tacite, à le supposer établi (son existence était discuté en l’espèce), aurait-il pu faire échec à la règle, supplétive, de la proportionnalité ? On peut en douter puisque l’article 515-4 du code civil exige que les parties « en disposent autrement » si elles souhaitent éviter une contribution proportionnelle aux facultés respectives. Il semble donc probable que seule une clause du PACS puisse aménager des modalités de contribution « non proportionnelles » à l’aide matérielle, sous la réserve déjà évoquée de l’impossibilité de dispenser l’un des partenaires de toute contribution (Cons. const. 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, préc.).
On le voit, la solution retenue par la Cour de cassation calque une fois de plus les obligations du PACS sur celles du mariage, raison pour laquelle elle ne crée pas vraiment de surprise pour le juriste. Le partenaire solvens ne pourrait sans doute pas en dire autant et les notaires sollicités lors de la rédaction d’un PACS ou l’acquisition d’un bien immobilier indivis financé par des emprunts devraient s’attacher à attirer l’attention des partenaires sur ce point. En effet, la publication de l’arrêt indique sans doute la volonté de la Cour de cassation de faire connaître cette solution car la situation pourrait être plus courante en pratique que la rareté du contentieux ne semble l’indiquer.
Par Laurence Gareil-Sutter
Source : Civ. 1re, 27 janv. 2021, FS-P, n° 19-26.140.
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