La transmission par l’entrepreneur individuel de son patrimoine professionnel
Posté le 18 mars 2022
La loi 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante permet à l’entrepreneur individuel de donner, vendre ou apporter à une société l’intégralité de son patrimoine professionnel (C. com. art. L 526-27 à L 526-31 nouveaux ; Loi 2022-172 art. 1).
L’objectif de la mesure est, selon l’étude d’impact, notamment de « créer un continuum permettant d’assurer la fluidité du passage d’une activité amorcée en entreprise individuelle vers l’exploitation en société pour en poursuivre le développement et la croissance ».
Comme les dispositions de la loi sur le nouveau statut de l’entrepreneur individuel, celles relatives au transfert universel de son patrimoine professionnel entreront en vigueur le 15 mai 2022 et ne s’appliqueront qu’aux créances qui seront nées à compter de cette date ; un décret prévoyant les modalités de publicité du transfert et d’opposition à celui-ci devra toutefois avoir été publié pour permettre cette entrée en vigueur.
Faculté de transfert universel du patrimoine professionnel
L’entrepreneur individuel pourra céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. Le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeurera soumis aux conditions légales applicables à la nature de ce transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés.
Conditions du transfert universel
A peine de nullité, le transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel ne pourra s’opérer que sous les conditions suivantes :
– il devra porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel, qui ne pourra pas être scindé ;
– en cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel devra permettre de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ;
– l’auteur du transfert et le bénéficiaire ne devront pas avoir fait l’objet d’une faillite personnelle ou d’une condamnation définitive à une peine d’interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou d’une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler une entreprise.
Lorsque le patrimoine professionnel sera apporté en société et contiendra des biens constitutifs d’un apport en nature, et sous réserve de l’application des dispositions particulières aux apports dans la SARL, la société anonyme ou la SAS, il devra être fait recours à un commissaire aux apports.
Effets du transfert universel de patrimoine professionnel
Le transfert universel du patrimoine professionnel emportera cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci sera constitué. Il pourra être consenti à titre onéreux ou gratuit. Lorsque le bénéficiaire sera une société, le transfert des droits, biens et obligations pourra revêtir la forme d’un apport.
L’entrepreneur individuel pourra céder son bail commercial au bénéficiaire du transfert de son patrimoine professionnel ; toute clause contraire du bail sera réputée non écrite. À notre avis, les clauses qui limitent ou aménagent seulement le droit du locataire de transférer son droit au bail, sans l’interdire, resteront valables, comme cela a été admis en cas de cession par le locataire de son fonds de commerce (Cass. 3e civ. 2-10-2002 n° 01-02.035). Tel devrait être le cas des clauses imposant d’appeler ce dernier à l’acte ou encore conférant un droit de préemption au bailleur en cas de transmission universelle du patrimoine professionnel (Cass. 3e civ. 12-7-2000 n 1127). En revanche, devrait être neutralisée la clause interdisant que le bail soit transmis à une personne morale (Cass. 3e civ. 29-2-1972) car une telle clause ferait obstacle à la transmission universelle du patrimoine professionnel à une société par voie d’apport ou de cession.
Les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature seront applicables, selon le cas. Il en sera de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats.
L’entrepreneur individuel devra donc obtenir l’accord de son cocontractant en cas de cession d’une dette (C. civ. art. 1327, al. 1), de même qu’en cas de cession d’un contrat (C. civ. art. 1216), ou notifier le transfert à son débiteur en cas de cession d’une créance s’il n’y a pas déjà consenti ou pris acte (C. civ. art. 1324, al. 1).
La cession ou l’apport de certains biens compris dans le patrimoine professionnel sera susceptible de tomber sous le coup des droits de préemption reconnus aux pouvoirs publics, par exemple en matière de fonds de commerce, fonds artisanal, bail commercial situés dans un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité (C. urb. art. L 214-1 et R 214-3).
Seront expressément exclus en cas de transfert universel de patrimoine professionnel, toute clause contraire étant non écrite :
– les formalités applicables à la transmission du fonds de commerce (C. com. art. L 141-12 s.) ;
– le droit de préemption des coïndivisaires (C. civ. art. 815-14) ;
– le droit au retrait litigieux du cédé en cas de cession de créance (C. civ. art. 1699).
Lorsque l’entrepreneur individuel cédant se sera obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel, l’inexécution de cette obligation engagera sa responsabilité sur l’ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.
Le transfert de propriété de l’entrepreneur individuel ne sera opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité, dans des conditions qui seront fixées par décret.
Opposition au transfert universel de patrimoine professionnel
Les créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance sera née avant la publicité du transfert de propriété pourront former opposition au transfert du patrimoine professionnel, dans un délai qui sera fixé par décret. L’opposition formée par un créancier n’aura pas pour effet d’interdire le transfert du patrimoine professionnel.
La décision de justice statuant sur l’opposition pourra soit rejeter celle-ci, soit ordonner le remboursement des créances ou la constitution de garanties, quand le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offrira et à condition qu’elles soient jugées suffisantes. Lorsque la décision de justice lui ordonnera le remboursement des créances, l’entrepreneur individuel auteur du transfert sera tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir, sauf insaisissabilité de sa résidence principale.
Loi 2022-172 du 14-2-2022, art. 1 ; C. com. art. L 526-27 à L 526-31 nouveaux
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