La société qui octroie une prime sur objectifs à son dirigeant doit fixer ces objectifs
Posté le 26 avril 2022
Le président du directoire d’une société anonyme (SA) signe avec cette dernière une convention de mandat social prévoyant que la société lui versera une prime annuelle de 70 000 € s’il atteint les objectifs devant être fixés par le conseil de surveillance de la société. Les objectifs n’ayant jamais été fixés, aucune prime n’est versée au dirigeant. Après sa révocation, ce dernier agit contre la société afin d’en obtenir le paiement.
Une cour d’appel rejette cette demande, retenant que le dirigeant avait la possibilité de demander à la société la fixation des objectifs et que, s’en étant abstenu, il ne pouvait pas lui reprocher de ne pas y avoir procédé.
La Cour de cassation censure cette décision sur le fondement de l’obligation d’exécuter les contrats de bonne foi (C. civ. art. 1104, al. 1) : il incombait à la seule société de fixer les objectifs que le dirigeant devait réaliser et elle ne l’avait pas fait.
Commentaires
Dans une affaire dont les faits étaient proches, il a été jugé que, en s’abstenant de fixer les objectifs nécessaires à la détermination de la part variable de la rémunération de son président du directoire au titre d’un exercice social, une société avait commis une faute et devait être condamnée à lui verser des dommages-intérêts pour un montant égal à la moitié de la somme qu’il avait perçue au titre de l’exercice précédent, le président n’étant resté dans l’entreprise que six mois au cours de l’exercice en cause (CA Paris 26-5-2016 no 14/20147).
Dans ce cas, le dirigeant demandait des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’il avait subi par la faute de la société alors que, dans l’arrêt commenté, il demandait le paiement de sa prime, bien que les objectifs auxquels elle était conditionnée n’aient pas été fixés. Certes, le juge ne peut pas, en principe, fixer lui-même la rémunération due à des dirigeants sociaux, car il n’a pas à s’immiscer dans la gestion de la société (Cass. com. 11-1-1972 no 69-11.205 ; Cass. com. 12-12-1995 no 94-12.486 D ; Cass. com. 14-11-2006 no 03-20.836 F-PB ; Cass. com. 31-3-2009 no 08-11.860 FS-D), mais, contrairement aux décisions précitées, la rémunération avait ici été fixée contractuellement et non par un organe social.
La cour d’appel de renvoi pourrait s’inspirer des décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation en matière de détermination de la rémunération variable de salariés : lorsque la part variable de la rémunération dépend de la réalisation d’objectifs fixés unilatéralement par l’employeur, cette part doit être intégralement versée au salarié si l’employeur n’a pas précisé les objectifs à réaliser (Cass. soc. 10-7-2013 no 12-17.921 F-D ; Cass. soc. 25-11-2020 no 19-17.246 F-D ; Cass. soc. 30-6-2021 no 19-25.519 F-D).
Une dernière question, qui n’a pas été soulevée devant la Cour suprême, se pose à propos de la validité de cette rémunération. En principe, la rémunération du président du directoire d’une SA est fixée par le conseil de surveillance (C. com. art. L 225-63). Une lecture stricte de cet article aurait pu avoir pour effet d’invalider la prime sur objectifs du dirigeant concerné puisque son montant avait été déterminé par contrat et non conformément aux dispositions de l’article précité. Ainsi, il a déjà été jugé que la rémunération du président du conseil d’administration (qui est dans la même situation qu’un président du directoire), notamment lorsqu’elle est allouée sous forme d’un complément de retraite, doit faire l’objet d’une délibération du conseil sur son montant et ses modalités et que, si tel n’est pas le cas, la société n’a pas à la verser, peu important que le conseil d’administration ait implicitement ratifié l’acte intervenu lors de la cession de contrôle de la société par lequel l’acquéreur s’était porté fort pour celle-ci du versement de ce complément (Cass. com. 27-2-2001 98-14.502 F-D).
Source : Cass. com. 30-3-2022 n° 20-16.168 F-B
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