La réception expresse exclut la réception tacite
Posté le 16 novembre 2021
L’exigence du contradictoire au cœur de la réception des travaux
La réception peut prendre trois formes : être expresse (la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage s’exprime aux travers des opérations de réception), tacite (cette volonté est déduite des circonstances), ou judiciaire (le juge constate que l’immeuble est en état d’être reçu, nonobstant la volonté du maître de l’ouvrage). Dans toutes ces hypothèses, elle doit être contradictoire, comme l’exige la lettre de l’article 1792-6, alinéa 1er, du code civil, in fine.
L’arrêt commenté invite à se pencher sur leur domaine et les modalités du contradictoire inhérentes à chaque forme de réception.
Au cas particulier, un maître d’ouvrage confie des travaux de rénovation d’un chalet à une entreprise, sous la maîtrise d’œuvre complète d’un architecte. Les opérations de réception se déroulent en présence du maître de l’ouvrage et l’architecte en juin 2007, sans que le constructeur ne soit convoqué. Condamné à indemniser le maître de l’ouvrage en raison de malfaçons, le maître d’œuvre recherche la garantie de l’assureur du constructeur. À cette fin, il demande aux juges du fond de reconnaître qu’une réception tacite opposable au constructeur est intervenue concomitamment à la réception expresse. Subsidiairement, il demande à ce que soit prononcée la réception judiciaire. Dans son pourvoi, il soutient que la réception expresse n’interdit pas la possibilité d’une réception tacite, laquelle était présumée par la prise de possession des lieux et le fait qu’aucune somme ne soit réclamée par l’entrepreneur ; cette présomption étant renforcée par l’existence d’une réception expresse même non opposable. Cette argumentation n’emporte par la conviction des magistrats.
La Cour de cassation constate que la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage a été concrétisée par la signature d’un procès-verbal de réception avec l’architecte. Elle caractérise ainsi la réception expresse. Elle approuve la cour d’appel d’en avoir déduit que les demandes visant à prononcer la réception tacite doivent être rejetées, la réception tacite à l’égard du constructeur, qui n’a pas été convoqué à la réception expresse, visant à contourner l’exigence du respect du contradictoire. Enfin, elle estime que la cour d’appel n’est pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes sur le prononcé d’une réception judiciaire, qui doit être contradictoire, dès lors que le liquidateur du constructeur n’a pas été appelé à l’instance.
Les trois formes de réception sont exclusives les unes des autres en raison de leurs domaines inconciliables.
Incompatibilité entre la réception expresse et la réception tacite
Réception expresse et tacite sont l’une et l’autre des modalités de la réception amiable, la première est exprimée, l’autre déduite. La réception tacite n’a pas lieu d’être si la volonté s’est exprimée. Création jurisprudentielle, elle permet au juge de constater que le maître de l’ouvrage a, par d’autres moyens que la signature d’un procès-verbal de réception, manifesté sa volonté d’accepter l’ouvrage. Elle permet de faire naître tous les effets de la réception, nonobstant le silence conservé par le maître de l’ouvrage.
En outre, invoquer le caractère tacite de la réception pour rendre opposable cette opération aux constructeurs non convoqués méconnaîtrait l’objectif de cette forme de réception, qui est de remédier à l’absence d’expression formalisée de la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage. La thèse développée dans le pourvoi atrophierait l’exigence du contradictoire, car admettre la réception tacite à l’égard des constructeurs non convoqués reviendrait à présumer le respect du contradictoire à défaut d’opposition de leur part. En effet, la détermination du caractère contradictoire en cas de réception tacite est délicate, bien qu’exigée fermement (Civ. 3e, 4 avr. 1991, n° 89-20.127, AJDI 1992. 35 ; RDI 1991. 480, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ). Il faut établir que les circonstances indiquent la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage, dans le respect du principe du contradictoire. Or les décisions, si elles rappellent cette double exigence, se focalisent sur la volonté du maître de l’ouvrage.
À titre d’illustration, la prise de possession par le maître de l’ouvrage et les circonstances l’entourant suffisent pour établir qu’une réception contradictoire est intervenue. La motivation quant au caractère contradictoire paraît alors bien mince puisqu’elle repose sur la seule prise de possession des lieux par le maître de l’ouvrage (Civ. 3e, 4 avr. 1991, n° 89-20.127, préc). La doctrine souligne à cet égard que la constatation du contradictoire a une part d’artifice (B. Boubli, obs. sous. Civ. 3e, 6 mars 2002, n° 00-19.387, RDI 2002. 214 ; S. Bertolaso, La réception des travaux : notion adaptable ou concept instable ?, Constr.-Urb. 2013. Étude 9), qu’elle relève d’un « jeu de l’esprit plus que d’un exercice juridique » (B. Boubli, obs. sous Civ. 3e, 19 juin 2012, n° 10-27.605, RDI 2012. 449 ), ou encore qu’elle s’efforce de sauvegarder « un aspect de contradiction », à défaut de pouvoir concilier les deux aspects (J. Chapron, Observations sur la réception des travaux, RDI 1995. 7 ). Les solutions dégagées par la jurisprudence semblent présumer « que le constructeur, en laissant le maître de l’ouvrage prendre possession des lieux a acquiescé à la réception » (H. Périnet-Marquet, La réception des travaux : état des lieux. L’article 1792-6 du code civil, dix ans après, D. 1988. 290).
Incompatibilité entre la réception expresse et la réception judiciaire
De même, réception expresse et judiciaire sont incompatibles. La réception judiciaire est une réception « forcée » pour vaincre la résistance du maître de l’ouvrage, alors que ce dernier est à l’initiative de la réception expresse. Elle n’a donc lieu d’être que si le maître d’ouvrage n’a pas réceptionné l’ouvrage (Paris, 4 sept. 2002, n° 2000/23251, AJDI 2002. 865 ; v. H Périnet-Marquet, Dossier 403. Marchés privés de travaux : fin du contrat d’entreprise, in Droit de la construction 2018/2019, 7e éd., 2018, Dalloz Action, spéc. n° 403.41). Comme le rappelle un arrêt « en l’absence de réception amiable, la réception judiciaire peut être ordonnée si les travaux sont en état d’être reçus (Civ. 3e, 12 oct. 2017, n° 15-27.802, D. 2017. 2099 ; RDI 2018. 31, obs. B. Boubli ).
Ce n’est donc qu’à défaut de réception expresse que la réception tacite ou judiciaire peut être sollicitée. En revanche, rien n’empêche qu’un maître de l’ouvrage débouté de sa demande de réception tacite avec réserves puisse solliciter du juge qu’il prononce la réception judiciaire (Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-21.996, RDI 2019. 619, obs. B. Boubli ).
Au cas particulier, la réception judiciaire est sollicitée, non pas par le maître de l’ouvrage, mais par le maître d’œuvre à l’encontre d’un autre constructeur à qui la réception expresse n’est pas opposable. L’inopposabilité doit-elle être assimilée à l’absence de réception ? L’absence de contradictoire n’affecte par la validité de l’opération (v. M.-L. Pagès-de Varenne, Conditions de validité de la réception. Un éclaircissement nécessaire !, Constr.-Urb. 2012. Repère 6). La réception reste valable entre les parties qui y ont pris part, mais ses effets ne pourront pas être invoqués à l’égard des constructeurs non convoqués. L’enjeu n’est donc pas de prononcer la réception à l’encontre d’une partie qui refuse d’y procéder, mais de la rendre opposable au constructeur. Cette inopposabilité n’est due qu’à l’absence de contradictoire. C’est à la purge de ce défaut qu’aurait dû tendre l’action du maître d’œuvre.
Par Camille Dreveau
Source : Civ. 3e, 8 nov. 2021, FS-B, n° 20-20.428
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