Holding animatrice et exonération Dutreil : pas d’obligation pour la société de conserver son rôle d’animation jusqu’au terme des engagements

Posté le 3 juin 2022

Les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de leur valeur, à condition qu’elles aient fait l’objet d’un engagement collectif de conservation de 2 ans et présentant certaines caractéristiques, et d’un engagement individuel de conservation pendant une durée de 4 ans, à compter de l’expiration de l’engagement collectif (CGI art. 787 B dans sa rédaction applicable issue de la loi 2009-1673 du 30-12-2009).

Les faits. Constituée en 1985, la société Y Entreprises est une holding qui détenait début 2010 des participations majoritaires dans des sociétés opérationnelles, des participations minoritaires dans des sociétés commerciales, ainsi que des participations minoritaires dans 4 sociétés civiles immobilières (SCI). Le capital de la société Y Entreprises était alors majoritairement détenu par Monsieur ZY et Madame EY son épouse, le surplus étant détenu par Monsieur XY. Après le décès de Madame EY et l’enregistrement de la déclaration de succession le 4-11-11, son conjoint survivant et ses deux enfants Y et AY ont revendiqué l’application de l’exonération des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % (CGI art. 787 B). Ces derniers soutenaient qu’à la date du décès, la société Y Entreprises était une holding animatrice gérée par Messieurs Z et XY, réalisant des prestations de service de nature commerciale. Par ailleurs, les enfants ont pris l’engagement, en avril 2011, de conserver les parts recueillies pendant au moins 4 ans à compter de leur transmission soit jusqu’en octobre 2014.  

Toutefois, l’administration relève que dans les 2 mois suivant le décès de Madame Y, la société Y Entreprises a cédé à un groupe étranger à la famille les participations qu’elle détenait dans la plupart de ses filiales commerciales, alors que parallèlement les SCI cédaient les immeubles d’exploitation. Pour l’administration, les actifs financiers étaient devenus prépondérants après les cessions, et les activités opérationnelles avaient chuté. Selon elle, l’activité de la holding était devenue purement financière, ce qui remettait en cause l’exonération partielle dont ont bénéficié les héritiers.

La fille a alors saisi le TGI de Rennes qui l’a déboutée de sa demande. Confirmant la position du tribunal, la cour d’appel de Rennes a jugé que s’agissant d’une société holding, le bénéfice de l’exonération Dutreil (CGI art. 787 B) ne pouvait se concevoir, au regard de l’objectif fixé par le législateur, que si ladite société conservait pendant la durée exigée sa fonction d’animation d’un groupe formé de filiales, devant elles-mêmes conserver une activité économique (CA Rennes 8-10-2019 n° 17/08339). Pour la cour d’appel, l’administration était donc fondée à soutenir que la perte, par la société holding, de sa qualité d’animatrice de groupe avant l’expiration du délai légal de conservation des parts rendait la transmission de ces parts inéligible à l’exonération partielle.

À la suite du rejet de sa demande, l’héritière s’est pourvue en cassation. Pour elle, la condition tenant à ce qu’une société holding anime son groupe de sociétés, à laquelle est subordonnée l’exonération partielle, ne doit être remplie qu’à la date de cette transmission et non postérieurement.

Solution. La Cour de cassation considère que la cour d’appel, qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas, a violé les dispositions de l’article 787 B du CGI en énonçant que s’agissant de la transmission des parts d’une société holding, le bénéfice de l’avantage fiscal était subordonné à la conservation, par cette société, de sa fonction d’animation de groupe jusqu’au terme du délai légal de conservation des parts. Statuant au fond, la Cour de cassation rappelle qu’il résulte des constatations des juges du fond que la société X Entreprises était, au jour du décès de Madame EY, une société holding animatrice d’un groupe de sociétés, que sa fille a conservé les titres de cette société pendant la période de son engagement, soit 4 années, et que les dirigeants sont demeurés à la tête de cette société pendant la durée requise de 3 ans, de sorte que l’héritière remplissait les conditions pour bénéficier de l’exonération partielle de droits de mutation sur la valeur des parts de la société X Entreprises dont elle a hérité.

La Haute juridiction censure donc l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, seules les conditions expressément prévues par la loi devant être respectées. Pour la Cour, la qualité de holding animatrice s’apprécie au jour du décès ou de la donation. En se prononçant ainsi, la Cour remet donc en cause la position de l’administration qui prévoit que « la condition du caractère de holding animatrice d’une holding de groupe s’apprécie au moment de la conclusion du pacte Dutreil ou de la transmission en cas d’engagement réputé acquis, et doit être remplie jusqu’au terme des engagements collectif, le cas échéant unilatéral, et individuel de conservation » (BOI-ENR-DMTG-120-20-40-10 n° 55). Cette condition n’est en effet pas expressément prévue par l’article 787 B du CGI. En outre, l’administration retient cette règle quelle que soit l’activité éligible puisqu’elle précise également que « la société doit vérifier la condition d’activité pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation » (BOI-ENR-DMTG-120-20-40-10 n° 25).

Commentaire. Cette solution pourrait avoir d’importantes conséquences et ce, à plus d’un titre.

Pour la période déjà écoulée tout d’abord, cet arrêt pourrait donner lieu à un abondant et coûteux contentieux dans tous les dossiers dans lesquels où l’administration a remis en cause l’application de l’exonération partielle sur le fondement de la perte par la holding de sa qualité d’animatrice avant l’expiration du délai légal de conservation des parts.

Pour l’avenir ensuite, plusieurs alternatives peuvent être envisagées. L’administration pourrait supprimer de sa base Bofip les paragraphes litigieux afin de tirer rapidement les conséquences de cette décision. Toutefois, le gouvernement pourrait décider de réécrire l’article 787 B du CGI en intégrant expressément cette condition actuellement non prévue par la loi, que ce soit à l’occasion du prochain collectif budgétaire ou de la loi de finances de fin d’année. Affaire à suivre…

 

Cass. com. 25-5-2022 n° 19-25.513

© Lefebvre Dalloz

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