Distinction consommateur/non-professionnel : conformité aux principes d’égalité

Posté le 16 mars 2022

Le code de la consommation distingue consommateurs et non-professionnels, cantonnant certaines mesures protectrices aux premiers. Le critère de discrimination repose sur le type de personnalité juridique. Le consommateur est une personne physique, qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, tandis que le non-professionnel est une personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles.

La Cour de cassation écarte dès lors toutes les personnes morales du bénéfice des dispositions réservées aux consommateurs, notamment l’article L. 218-2 du code de la consommation qui soumet l’action des professionnels envers les consommateurs pour les biens ou services qu’ils fournissent à un délai de prescription de deux ans (v. par ex., pour une SCI, Civ. 1re, 13 juill. 2016, n° 15-17.702, CCC 2016. Comm. 222, obs. S. Bernheim-Desvaux). Cette distinction a été dénoncée à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Le rejet de la question prioritaire de constitutionnalité

Un syndicat de copropriétaires demandait à la Cour de cassation de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « l’article L. 218-2 du code de la consommation, en ce qu’il ne prévoit pas expressément que la prescription biennale qui s’applique à l’action des professionnels pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, bénéficie également aux non-professionnels, méconnaît-il les principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égalité devant la justice ? ».

La Cour de cassation estime que la question posée ne présente pas un caractère sérieux « en ce qu’à la différence d’un consommateur, un non-professionnel est une personne morale, de sorte que la différence de traitement critiquée qui est ainsi fondée sur une différente objective de situation, est en rapport avec l’objet de la loi tendant à assurer la protection des consommateurs dans leurs rapports avec les professionnels ».

Le critère de la personnalité morale

Cette réponse ne va pas de soi dès lors que la différence de situation ne pourrait être qu’apparente.

La distinction opérée entre consommateur et non-professionnel part du postulat que « par nature, les personnes physiques sont de fait susceptibles de se trouver dans une situation de faiblesse ou déséquilibre », ce qui n’est pas le cas des non-professionnels, lesquels ne sont bénéficiaires de ces dispositions que par « détermination de la loi » (G. Loiseau, À la rencontre du non-professionnel, D. 2016. 1844 ). A certains égards, ce critère est pleinement justifié. C’est le cas pour les questions relatives à l’intégrité physique ou de la santé (v. Y. Picod et N. Picod, Droit de la consommation, Sirey, 2020, p. 46 spéc. n° 42). Mais à d’autres, et notamment les enjeux économiques, il l’est moins, d’autant que la catégorie des non-professionnels est hétérogène. Ainsi, certaines personnes morales sont composées de personnes physiques qui contractent pour des besoins purement domestiques, sans que la personnalité morale ne leur procure de « capacités structurelles leur permettant de se défendre », tels les syndicats de copropriétaires ou encore les sociétés civiles immobilières dites familiales, constituées pour les besoins de la gestion d’un bien de famille. (K. De La Asuncion-Planes, La personne morale peut-elle être protégée par le droit de la consommation ?, LPA 3 mars 2010, p. 3). Plusieurs voix en doctrine soulignent que ces personnes morales se trouvent dans une situation de faiblesse vis-à-vis du professionnel, analogue de celle d’une personne physique et mérite donc une égale protection.

Le refus de la Cour de cassation de tenir compte de la « sociologie juridique » de certains groupements, et de s’attacher aux « destinataires réels » des droits dépasse le code de la consommation (obs. P.-Y. Gautier, obs. sous Civ. 3e, 24 oct. 2019, n° 19-15.766, RTD civ. 2020. 134 ; D. 2019. 2135 ; ibid. 2020. 1148, obs. N. Damas ; AJDI 2020. 509 , obs. N. Damas ; Rev. prat. rec. 2020. 31, chron. D. Gantschnig ; RTD civ. 2020. 134, obs. P.-Y. Gautier ; D. 2019. 2135 ; ibid. 2020. 1148, obs. N. Damas ; AJDI 2020. 509 , obs. N. Damas ; Rev. prat. rec. 2020. 31, chron. D. Gantschnig ). Récemment, adoptant un raisonnement identique, la Cour de cassation a rejeté une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 19 de la loi du 1er septembre 1948. Cet article réserve aux bailleurs personnes physiques ou aux seuls membres de sociétés conférant un droit de jouissance à leurs membres, la possibilité d’exercer un droit de reprise, les SCI familiales ne pouvant pas s’en prévaloir au profit de l’un des associés. La Cour de cassation avait considéré la différence de situation entre ces bailleurs, dont « les parts ne confèrent pas les mêmes droits aux associés », pour estimer que « le législateur a fondé cette différence de traitement sur une différence de situation objective, en rapport direct avec l’objet de la loi » (Civ. 3e, 24 oct. 2019, n° 19-15.766, préc.).

L’arrêt commenté peut également être rapproché d’une décision récente du Conseil constitutionnel, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 114-1 du code des assurances qui prévoit un délai de prescription de deux ans spécifique aux contrats d’assurance (Civ. 2e, QPC, 7 oct. 2021, n° 21-13.251). Les juges de Montpensier ont estimé que cet article ne porte pas atteinte au principe d’égalité, au motif que contrat d’assurance se distingue par son objet des autres contrats (Cons. const. 1er déc. 2021, n° 2021-957 QPC, Dalloz actualité, 12 janv. 2022, obs. R. Bigot et A. Cayol). Dans ce domaine également, la réalité de la différence de situation a été dénoncée. Il a été relevé que le contrat d’assurance, comme le contrat de consommation « met en présence une partie forte et une partie réputée faible, dans un lien contractuel entaché d’une asymétrie d’informations et de pouvoirs » (R. Bigot et A. Cayol, préc.)

Ainsi, en dépit du titre liminaire du code de la consommation, son périmètre et les critères de qualification de ses bénéficiaires restent discutés.

La qualité de non-professionnel du syndicat de copropriétaires

En raison tant de sa personnalité morale que de son objet social, qui est la conservation et l’amélioration de l’immeuble ainsi que l’administration des parties communes, le syndicat de copropriétaires reçoit la qualification de non-professionnel. Il n’exerce pas d’activité professionnelle, mais agit dans le cadre du statut de la copropriété, tel qu’imposé par la loi. La solution semble établie en jurisprudence (Civ. 1re, 23 juin 2011, n° 10-30.645, D. 2011. 2245, et les obs. , note S. Tisseyre ; ibid. 2012. 840, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD com. 2011. 627, obs. B. Bouloc ; 29 mars 2017, n° 16-10.007, Dalloz actualité, 26 avr. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 812 ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; CCC 2017. Comm. 137, S. Bernheim-Desvaux). Mais cette qualité reste discutée pour certaines copropriétés, notamment celles composées de lots affectés à un usage professionnel ou commercial, ou encore les résidences service (A. Tadros, Le syndicat de copropriété, le syndic professionnel et l’article L. 136-1 du code de la consommation, D. 2016. 234 ). La question se pose également lorsque le syndicat de copropriétaires est représenté par un syndic professionnel, lequel est tenu d’une obligation de conseil à l’égard de son mandant. La Cour de cassation estime que la représentation du syndicat de copropriétaires par un syndic professionnel ne lui pas perdre la qualité de non-professionnel (Civ. 1re, 25 nov. 2015, n° 14-20.760, D. 2016. 234 , note A. Tadros ; ibid. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2016. 518 , obs. D. Tomasin ; ibid. 1, chron. E. Elbaz ; RTD civ. 2016. 354, obs. H. Barbier et n° 14-21.873, D. 2016. 234 , note A. Tadros ; ibid. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2016. 518 , obs. D. Tomasin ; RTD civ. 2016. 354, obs. H. Barbier ). L’intervention du syndic est rendue transparente par le principe de représentation. La solution a été confirmée dans une espèce où le copropriétaire majoritaire était une société qui exerçait l’activité de syndic professionnel (Civ. 3e, 12 juill. 2018, n° 17-21.564, Loyers et copr. 2018. Comm. 208, obs. C. Coutant-Lapalus).

 

Par Camille Dreveau

Civ. 3e, 17 févr. 2022, FS-B, n° 21-19.829

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