Des remboursements de compte courant effectués sans faute des associés dirigeants
Posté le 25 mars 2022
Des époux, coassociés et cogérants d’une société exploitant un café-restaurant, effectuent des dépenses personnelles, pour un montant total d’environ 13 000 €, au moyen de 27 chèques émis par la société, leur compte courant d’associé étant débité du même montant. Ultérieurement, les cogérants déclarent l’état de cessation des paiements de la société, qui est mise en liquidation judiciaire.
A la demande du liquidateur judiciaire, le tribunal de commerce de Paris condamne les époux au paiement d’une somme de 13 475,44 € correspondant à celle déclarée par un créancier social au passif de la liquidation judiciaire. Le tribunal retient que les intéressés ont procédé au remboursement de leur compte courant à hauteur de la trésorerie disponible, alors que la société n’avait plus d’activité et qu’ils avaient connaissance qu’un créancier revendiquait des sommes au titre des relations contractuelles antérieures, qu’ils ont ainsi commis une faute à l’égard des autres créanciers en procédant à un paiement préférentiel ne laissant aucune autre somme disponible pour être autrement répartie, la circonstance qu’ils ont déclaré une créance de 65 000 € au titre de leur compte courant étant indifférente, ceux-ci étant directement responsables de la gestion de l’entreprise et de la perte de leur prêt.
La cour d’appel de Paris juge au contraire que les époux n’avaient pas commis de faute pour les raisons suivantes :
– l’avance en compte courant consentie par un associé à une société est, sauf stipulation contraire, remboursable à tout moment ; ainsi, les paiements litigieux ne sauraient, comme le prétendait le liquidateur judiciaire, constituer une violation des principes essentiels du droit des sociétés et de l’objet social, ni caractériser en soi une faute de gestion imputable aux dirigeants ;
– les 27 paiements litigieux s’étaient étalés sur un an et demi, aucun n’avait été effectué en période suspecte, la majorité d’entre eux et ceux ayant les montants les plus élevés avaient été effectués pour régler les cotisations du régime social des indépendants (RSI), dont le paiement est obligatoire pour des gérants de société, et leur montant total était dérisoire par rapport aux apports en compte courant que les époux avaient consentis à la société (environ 114 000 €) ;
– seuls deux créanciers avaient déclaré leur créance : celui qui se prévalait de la créance de 13 475,44 € et les époux eux-mêmes, à hauteur de 65 000 €, au titre de leur compte courant ;
– les remboursements du compte courant, tous intervenus avant que la créance de 13 475, 44 € ne soit devenue liquide et exigible à la suite d’un jugement, ne caractérisaient pas un paiement préférentiel au détriment du seul créancier de l’entreprise, étant précisé que ceux effectués après la date de l’assignation délivrée par ce créancier se chiffraient au montant très modeste de 2 503,37 € au total, dont 1 464 € au titre des cotisations RSI ;
– le comportement des cogérants ne traduisait pas de manœuvre dolosive comptable au préjudice de la société et ce n’était pas le remboursement limité du compte courant, qui s’était déroulé sur plus d’une année, pour des sommes mineures par rapport aux apports effectués, qui avait entraîné la cessation des paiements, intervenue un an après le dernier remboursement.
À noter
Les associés consentent fréquemment à leur société des avances ou des prêts qui sont inscrits dans un compte courant d’associé. Ce compte a pour caractéristique essentielle d’être, sauf convention ou clause statutaire contraire, remboursable à tout moment sur demande de l’associé titulaire.
En principe, lorsque la société connaît des difficultés financières, elle ne peut pas opposer sa situation difficile à la demande de remboursement d’un compte courant d’associé ni limiter le remboursement au montant que peut supporter sa trésorerie.
Ce principe n’exclut pas que l’associé puisse être tenu pour fautif lorsque sa demande de remboursement est faite abusivement. Ainsi, les actionnaires majoritaires et administrateurs d’une société ont commis une faute en se faisant rembourser leurs comptes courants d’associés alors qu’ils savaient que la créance d’un tiers n’avait pas été prise en compte lors de la liquidation amiable de la société (CA Paris 12-2-1999). En effet, le remboursement ne doit pas constituer un paiement préférentiel au détriment des créanciers de l’entreprise (Cass. com. 24-5-2018 n° 17-10.119).
En outre, le dirigeant de la société peut, dans certaines circonstances, être sanctionné au titre d’une faute de gestion pour avoir remboursé un compte courant d’associé. Tel a été le cas du dirigeant associé d’une société mise par la suite en liquidation judiciaire, qui avait remboursé son propre compte courant (100 000 €) et celui d’un autre associé (50 000 €) quelques jours après qu’un arrêt de la Cour de cassation avait rendu la société irrémédiablement débitrice de la somme de 166 200 € à l’égard d’un tiers ; l’intéressé a été condamné à combler le passif à hauteur de 150 000 € car il savait inéluctable la déclaration de cessation des paiements (toute activité de la société avait disparu) et il connaissait le risque de devoir une somme au tiers, les remboursements litigieux ayant privé la société de toute trésorerie du fait de l’absence d’actif disponible permettant d’exécuter la condamnation et empêché la poursuite de l’instance judiciaire (Cass. com. 24-5-2018 no 17-10.119 précité).
Source : CA Paris 1-2-2022 no 19/22749.
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