Bail commercial : droit de préférence et honoraires d’agence

Posté le 14 octobre 2021

Par l’arrêt rapporté, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 2020 qui était venu « préciser les modalités de mise en œuvre du droit de préférence légal instauré à l’article L. 145-46-1 du code de commerce, disposition d’ordre public » (Paris, 27 mai 2020, n° 19/09638, Dalloz actualité, 17 juill. 2020, obs. P. de Plater ; AJDI 2020. 833 , obs. P. de Plater ; RTD com. 2020. 596, obs. J. Monéger ).

Dans cette affaire, un bailleur commercial avait confié un mandat de vente à une agence immobilière le 3 mars 2018. Ayant trouvé un acquéreur potentiel, le bailleur avait transmis, par une lettre recommandée avec accusé de réception du 19 octobre 2018 puis par acte d’huissier du 24 octobre 2018, une offre de vente à son preneur qui mentionnait, en sus du prix principal proposé, des honoraires d’agence. Par une lettre du 29 octobre 2018, le preneur avait contesté la régularité de l’offre de vente. Malgré cette contestation, le bailleur avait consenti le 9 novembre 2018 une promesse unilatérale de vente à un tiers, sous la condition suspensive de non-exercice par le preneur de son droit de préférence. Le preneur n’ayant pas accepté l’offre transmise, le propriétaire l’avait fait assigner aux fins de constatation de la purge du droit de préférence de celui-ci, ce qui devait lui permettre de vendre le bien au tiers bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente.

Le litige portait donc sur la régularité de l’offre de vente transmise au preneur et l’arrêt de la Cour de cassation du 23 septembre 2021 pose désormais clairement la jurisprudence : d’une part, le bailleur peut mettre en vente son bien avant de l’offrir à son preneur, à la condition qu’une offre de vente soit transmise au locataire avant la conclusion de la vente avec un tiers ; d’autre part, l’offre de vente envoyée par le bailleur peut mentionner les honoraires de l’agent immobilier dès lors que ceux-ci étaient clairement identifiés.

La possibilité de mettre en vente un local commercial ou artisanal avant de l’offrir en priorité au locataire

L’article L. 145-46-1 du code de commerce dispose que le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal qui « envisage de vendre celui-ci » doit offrir son bien à la vente en priorité au locataire. Or envisager, c’est réfléchir à vendre, se dire que le moment de vendre est peut-être venu. Autrement dit, envisager une vente ne peut en principe qu’être chronologiquement antérieur à toute action positive du vendeur.

Une telle interprétation restrictive pose cependant une immense difficulté pratique. En effet, le propriétaire peut n’avoir aucune idée précise de la valeur de son bien au moment où il envisage de le vendre. Son intérêt est alors de l’offrir au locataire à un prix très élevé pour s’assurer qu’il ne perdra pas d’argent par rapport à une mise sur le marché aboutissant à une vente avec un tiers. Plus encore, même expertisés et faisant l’objet de nombreux avis circonstanciés, le prix de vente et ses conditions ne sont véritablement établis qu’à partir du moment où un acquéreur tiers a formulé une offre d’achat ou accepté l’offre de vente qui lui a été faite par le propriétaire. Avant cet événement, rien n’indique que le bien se vendra bel et bien aux conditions et prix voulus par le propriétaire. C’est ce qui explique que l’article L. 145-46-1 du code de commerce prévoit une obligation pour le notaire, en cas de prix ou de conditions plus avantageux proposés à un tiers, de transmettre cette offre au locataire. Dans cette hypothèse, l’offre est adressée au locataire bien après que le propriétaire a envisagé de vendre son bien, puisqu’elle intervient avant la signature de l’acte notarié de vente avec un tiers. Elle est donc postérieure à la mise en vente et aux négociations précontractuelles.

L’esprit de l’article L. 145-46-1 du code de commerce n’est donc pas d’obliger le propriétaire à formuler une offre de vente dès qu’il envisage de vendre, mais de donner au locataire la préférence pour acquérir un bien, le cas échéant en se substituant à un tiers qui est sur le point de l’acheter. La Cour de cassation a retenu cette interprétation en jugeant que « [l]a cour d’appel a exactement retenu que la notification de l’offre de vente ayant été adressée préalablement à la vente, l’association avait pu confier à la société Immopolis un mandat de vente le 3 mars 2018, puis faire procéder à des visites du bien et que le fait qu’elle ait conclu, le 8 novembre 2018, une promesse unilatérale de vente, sous la condition suspensive tenant au droit de préférence du preneur, n’invalidait pas l’offre de vente ».

La position de la Cour de cassation est particulièrement claire : l’offre de vente notifiée par un propriétaire à son locataire est valable à la condition qu’elle soit antérieure à la vente avec un tiers. Par cette décision, la Cour de cassation s’assure que le locataire qui exerce son droit de préférence mettra le propriétaire dans la position dans laquelle il aurait été s’il avait vendu son bien à un tiers. Droit de préférence ne signifie pas droit à une réduction du prix ou à des conditions plus avantageuses pour le locataire.

Bien que l’arrêt ne le dise pas expressément, l’interprétation large de la Cour de cassation devrait permettre au propriétaire de faire tout acte préalable à la vente, et notamment de conclure une promesse unilatérale ou synallagmatique de vente avec un tiers.

En effet, en cas de promesse unilatérale, la vente n’est formée qu’au jour de la levée de l’option par le bénéficiaire. Pour se conformer à l’article L. 145-46-1 du code de commerce, il suffira donc que l’offre de vente soit transmise au locataire avant la levée de l’option.

Dans le même sens, bien que l’article 1589 du code civil dispose que la promesse synallagmatique de vente vaut vente s’il y a accord sur la chose et sur le prix, la vente n’est en réalité formée que lorsque les conditions suspensives ont été réalisées. Le propriétaire devrait donc pouvoir conclure une promesse synallagmatique de vente avec un tiers avant de transmettre son offre de vente à son locataire tant que les conditions sont pendantes.

Pour pallier tout risque d’importants contentieux, il conviendrait de stipuler, comme en l’espèce, une condition suspensive de purge du droit de préférence. Sans cette stipulation, la levée de l’option dans le cas d’une promesse unilatérale ou l’accomplissement des autres conditions suspensives dans le cas d’une promesse synallagmatique, pourrait intervenir alors même que le locataire dispose encore de son droit de préférence. Il y aurait alors violation de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, ce qui est susceptible d’entraîner des conséquences particulièrement graves pour le propriétaire et même pour le tiers acquéreur (nullité du contrat de vente, condamnation à payer des dommages et intérêts, etc.).

La mention possible des honoraires d’agence dans l’offre de vente adressée au locataire

Outre la possibilité de transmettre l’offre de vente au locataire tant qu’il n’y a pas vente avec tiers, l’arrêt du 23 septembre 2021 précise que l’offre de vente peut mentionner des honoraires d’agence.

Ceci ne signifie cependant pas que ces honoraires soient dus. La Cour de cassation, dans un arrêt remarqué, a en effet jugé que, dans un tel cas, le locataire pouvait accepter l’offre du propriétaire « au seul prix de vente » (Civ. 3e, 28 juin 2018, n° 17-14.605, D. 2018. 1739 ; ibid. 1736, avis F. Burgaud ; ibid. 1740, note P. Viudès et F. Roussel ; ibid. 2435, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel ; ibid. 2019. 1511, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2019. 122 , obs. J.-P. Blatter ; RTD civ. 2018. 875, obs. H. Barbier ; RTD com. 2018. 605, obs. F. Kendérian ). Une telle solution s’imposait dès lors que, comme le rappelait M. Kendérian « le locataire, en tant que titulaire d’un droit de préemption légal, n’a pas à être recherché par l’agent immobilier, qui n’accomplit ici aucune réelle prestation de recherche et de présentation » (RTD com. 2018. 605, § 15 ).

La particularité qu’il convient de souligner ici est que l’acceptation du locataire est formulée dans des termes différents de ceux de l’offre, tout en permettant au contrat d’être malgré tout formé. Offre et acceptation divergentes peuvent donc être sources de contrat… Sans doute est-ce justifié par le caractère d’« offre légale » que revêt l’offre notifiée en vertu de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une figure juridique relativement surprenante.

Plus encore, que l’offre puisse être acceptée au seul prix de vente sans les honoraires d’agence implique que, même lorsqu’il est fait mention des honoraires, l’offre notifiée est susceptible de remplir les conditions posées par l’article L. 145-46-1 du code de commerce. C’est en tout cas ce qu’a retenu la Cour de cassation dans son arrêt du 23 septembre 2021 en jugeant que « l’offre de vente n’était pas nulle ».

L’idée de validité d’une offre est à première vue difficile à comprendre puisque, en principe, l’offre n’est pas soumise à des conditions de validité mais plutôt d’existence. L’article 1114 du code civil dispose à cet égard que : « L’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. À défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation. » Autrement dit, en droit commun, une manifestation de volonté est qualifiée d’offre si elle est suffisamment précise et ferme. Lorsqu’elle ne présente pas ces caractères, la manifestation de volonté n’est pas nulle : elle doit être requalifiée en invitation à entrer en négociation.

Cependant, dans le cas particulier de l’offre notifiée en vertu d’un droit de préférence, l’offre ne trouve pas sa source dans la liberté contractuelle du propriétaire mais dans une obligation légale de proposer de vendre au locataire. Ce dernier doit donc être assuré de bénéficier d’une véritable offre. Ainsi, l’offre doit revêtir ses conditions d’existence (précision ; certitude) mais sa formulation doit également ne pas être susceptible de le tromper.

À cet égard, il convient de rappeler que la réforme du droit des contrats a introduit l’article 1100-1 du code civil qui dispose que « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux. Ils obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats. » L’offre, si on la qualifie d’acte juridique, est donc susceptible d’être annulée pour les vices du consentement du contrat, et notamment pour erreur. Or il ne fait aucun doute que la mention d’honoraires que le locataire ne doit pas payer est de nature à lui faire croire qu’il doit les payer.

Dans cette affaire, la cour d’appel avait d’ailleurs retenu, pour justifier son arrêt, que l’offre de vente était valable car le locataire savait ne pas avoir à en supporter la charge, le prix de vente étant clairement identifié. Mais dans l’hypothèse où la cour d’appel avait jugé, dans son pouvoir souverain d’appréciation des faits, que le locataire ne savait pas ne pas avoir à supporter la charge des frais d’agence, l’offre transmise aurait été trompeuse, ce qui aurait justifié, semble-t-il, son annulation. Les juges seront donc invités à l’avenir à rechercher si la mention des honoraires dans une offre de vente formulée en vertu de l’article L. 145-46-1 du code de commerce a introduit une confusion dans l’esprit du preneur afin de juger si le droit de préférence du preneur a été respecté.

 

Par Paul Gaiardo

Source : Civ. 3e, 23 sept. 2021, FS-B, n° 20-17.799

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