Une clause de non-concurrence jugée disproportionnée par rapport à l’intérêt protégé

Posté le 17 octobre 2023

Les faits

Une société spécialisée en conseil et ingénierie informatique confie à un prestataire informatique la réalisation d’une prestation de 3 mois chez l’un de ses clients (la société Vinci construction) portant sur la création d’une application informatique. Par ce contrat, le prestataire renonce à travailler et à prospecter sous quelque forme que ce soit ce client pendant 12 mois à compter de la fin de sa mission, sous peine d’une indemnité égale à un an de salaire brut des personnes détachées auprès du client. Le contrat est renouvelé à plusieurs reprises et la prestation s’étend sur 2 ans.

Ayant appris que, durant le contrat et après l’expiration de celui-ci, le prestataire a conclu 8 contrats de prestations de services directement avec le client pour environ 415 000 € HT, la société se prévaut de la violation de la clause précitée. Le prestataire soutient alors que cette clause, trop large, non délimitée dans l’espace et déséquilibrée par rapport à l’objet du contrat, est nulle.

Décision

Saisie du litige, la cour d’appel de Versailles rappelle qu’une clause de non-concurrence est licite lorsqu’elle est justifiée par les intérêts légitimes de son bénéficiaire, compte tenu de l’objet du contrat, et que, suffisamment limitée dans le temps et dans l’espace, elle ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d’exercice de la profession du débiteur de l’obligation.

La cour d’appel juge que la clause respectait bien certaines de ces conditions :

–   l’obligation de non-concurrence était limitée dans le temps ;

–   contrairement à ce que soutenait le prestataire, l’absence de délimitation géographique de la clause n’affectait pas la validité de la clause, dès lors que l’activité en cause visait des prestations informatiques à caractère intellectuel ; dans la mesure où elle limitait l’obligation de non-concurrence au seul client bénéficiaire de la prestation, la clause ne portait pas une atteinte excessive à la liberté d’exercice de son activité par le prestataire qui restait libre de travailler avec tout autre client ;

–   le prestataire invoquait en vain la préexistence de relations commerciales entre lui et le client, qui est sans effet sur l’obligation de non-concurrence à laquelle il avait accepté de se soumettre en signant le contrat ; au demeurant, la preuve de telles relations n’était pas apportée ;

–   l’obligation de non-concurrence visait une activité en lien avec l’objet du contrat ; elle ne saurait être circonscrite à la seule création d’applications informatiques, sauf à la rendre inefficace.

Mais la cour d’appel de Versailles a annulé la clause, la jugeant disproportionnée par rapport à l’intérêt légitime de la société : dès lors que les parties exerçaient toutes deux leur activité dans le domaine de la prestation de services informatiques, il n’était pas contestable que la société avait un intérêt légitime à se protéger contre un risque de détournement de clientèle s’agissant d’un client de grande envergure ; toutefois, la société avait astreint son cocontractant à une obligation de non-concurrence disproportionnée par rapport à cet intérêt légitime en lui interdisant toute relation commerciale avec le client pendant une durée de 12 mois, sauf à devoir régler une indemnité équivalente à un an de salaire brut des personnes engagées, alors que la mission confiée se limitait à 3 mois, sans mention d’un possible renouvellement du contrat, et à la somme modeste de 28 350 € HT.

La cour a néanmoins condamné le prestataire à verser des dommages-intérêts pour manquement à son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi (C. civ. art. 1104). Nonobstant les termes de la clause de non-concurrence, qui ne visait que la période postcontractuelle, le prestataire n’ignorait pas que la société entendait protéger sa relation contractuelle avec son client. En profitant de la mission que la société lui avait confiée pour conclure directement et à son insu 8 contrats avec ce client, d’un montant total conséquent de 415 000 € HT, le prestataire avait fait preuve de déloyauté à l’égard de son cocontractant.

À noter

1° Les critères de validité d’une clause de non-concurrence ici retenus par la cour d’appel de Versailles sont classiques, mais l’application qu’elle en fait demeure intéressante.

Si l’absence de limite géographique est souvent considérée comme rédhibitoire par le juge, ont néanmoins été validées des clauses de non-concurrence n’en comportant pas mais visant les clients que le débiteur de la clause s’engageait à ne plus contacter. Dans la présente affaire, la clause tendant à protéger les relations entre la société donneuse d’ordre et un seul client, une limitation géographique n’avait pas de sens.

Même si la clause est limitée dans le temps et dans l’espace, le juge doit contrôler si elle est proportionnée aux intérêts légitimes à protéger. L’intérêt légitime du bénéficiaire de la clause tient bien sûr à la protection de sa clientèle. Ici, la cour d’appel de Versailles apprécie la proportionnalité de la clause de non-concurrence en mettant l’accent sur le différentiel entre, d’une part, la durée de l’interdiction et le montant de l’indemnité convenue et, d’autre part, la durée et le montant du contrat tel qu’initialement prévus.

2° Pour fixer les dommages-intérêts dus par le prestataire pour manquement à son obligation de bonne foi, la cour d’appel a refusé de se référer à la marge brute (28 % du prix des prestations, soit environ 116 000 €) qu’aurait réalisée la société sur les interventions du prestataire auprès du client car ce dernier aurait pu ne pas s’adresser à celle-ci. Le préjudice subi par la société ne pouvant donc consister qu’en la perte d’une chance de percevoir cette marge, les dommages-intérêts ont été fixés à 75 000 €.

 

CA Versailles 14-9-2023 n° 21/05171

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