Clause de pollution, délivrance conforme et garantie des vices cachés

Posté le 29 octobre 2021

L’étude publiée le 20 octobre 2021 dans la revue Global Environmental Change (étude menée par Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet et Benjamin Franta à partir d’archives et d’entretiens avec d’anciens dirigeants de Total et d’Elf) met une nouvelle fois Total dans la tourmente en révélant que depuis près de cinquante ans l’entreprise connaissait les conséquences de son activité sur le climat. Si l’entreprise mise notamment sur sa filiale Total Quadran pour investir dans les nouvelles énergies à bas carbone, la pollution des sols reste un sujet majeur du droit de l’environnement pour lequel l’entreprise, par l’intermédiaire de ses distributeurs, est souvent tristement mise en cause. En effet, le sol est une ressource à protéger du point de vue de sa consistance et non seulement de son aménagement (v. Droit des sites et sols pollués, ss. la dir. de F. Labelle et D. Thierry, L’harmattan, 2018).

C’est de pollution des sols par hydrocarbures dont il est question dans cet arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 30 septembre 2021 publié au bulletin.

Les faits sont des plus classiques. Le 29 mars 2010, la société Total Mayotte a échangé avec la société Nel une parcelle de terrain, sur laquelle avait été exploitée une station-service de distribution de carburant. Le 31 mai 2010, la société Nel revend ce terrain à la société Station Kaweni. Cette dernière société la donne à bail à la société Sodifram pour y édifier des parkings, commerces et bureaux. En 2013, lors des travaux, une pollution aux hydrocarbures est découverte sur le terrain.

Acquéreur et preneur assignent les cédants successifs en indemnisation de leurs préjudices pour non-respect des articles L. 512-12-1 et R. 512-66-1 du code de l’environnement, manquement à leur obligation de délivrance conforme et garantie des vices cachés. La société Total Mayotte forme un appel en garantie contre la société Nel revendiquant l’application de la clause de pollution qu’elle avait pris soin d’insérer dans l’acte d’échange.

En appel, les cédants successifs sont condamnés in solidum à indemniser acquéreur et preneur. Ils se pourvoient chacun en cassation. En raison de leur connexité, les deux pourvois sont joints.

Deux moyens sont donc examinés par les juges de la Haute Cour et les réponses données sont des plus instructives. S’agissant du premier moyen qui est rejeté, la solution met en lumière les limites d’une clause de pollution. Sur le second moyen, la Cour casse l’arrêt d’appel et rappelle opportunément la différence entre l’obligation de délivrance conforme et la garantie des vices cachés. Le sort des vendeurs successifs est donc différencié avec pour conséquence que c’est in fine la société Total Mayotte qui supportera seule les conséquences de cette pollution.

L’inefficacité de la clause « de pollution »

Les stations-services de distribution de carburant sont des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) relevant du régime de l’enregistrement (autorisation simplifiée). En effet, considérant que cette activité et les risques environnementaux qu’elle présente étaient désormais bien connus, le législateur a estimé en 2009 qu’un régime simplifié pouvait lui être appliqué puisque les prescriptions techniques à faire respecter pouvaient être standardisées et généralisées.

Il n’en reste pas moins que l’exploitant qui cesse son activité doit placer « le site dans un état tel qu’il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 et qu’il permette un usage futur comparable à la dernière période d’activité de l’installation » et en informer le propriétaire. L’article R. 512-66-1 du code de l’environnement précise la procédure à suivre et notamment les actions d’élimination, d’évacuation des produits dangereux ou déchets.

L’ambition limitée du législateur peut être regrettée puisque, finalement, l’exploitant n’a pour mission que de remettre en état le terrain pour le même usage, fut-il polluant. Cela n’incite pas à l’effort, l’imputabilité d’une pollution des terres par hydrocarbure étant difficile à établir si plusieurs exploitants se succèdent sur ce même site.

De surcroît, en l’espèce, propriétaire et exploitant ne faisaient qu’un. Il manquait donc un filtre de vigilance au dispositif, la société pouvant difficilement exiger d’elle-même une « meilleure » remise en état de la parcelle… En revanche, la société Total Mayotte était particulièrement bien placée pour connaître les conséquences de son exploitation et délivrer des informations détaillées et pertinentes à son coéchangiste. C’est ce que l’on pouvait attendre de la clause dite « de pollution » présente dans l’acte d’échange (rappelons qu’elle se distingue d’une clause de non-garantie ; cette dernière est nulle comme contraire à l’ordre public lorsqu’elle est insérée par le dernier exploitant de l’ICPE, Civ. 3e, 3 nov. 2011, n° 10-14.986).

La clause en question portait à la connaissance du coéchangiste un « rapport de synthèse de dépollution » et avait corrélativement pour objectif d’exonérer la société Total Mayotte de tout recours en raison de l’état du sol ou du sous-sol de l’immeuble en lien avec l’activité exercée sur ce dernier. En apparence, la société semblait donc avoir respecté son obligation de remise en état lors de la cessation d’exploitation et son obligation d’information. Il était donc logique qu’elle en attende une exonération de responsabilité.

Pourtant, les juges du fond ont relevé que dès les premiers coups de godet des engins de terrassement, la présence d’hydrocarbures a été révélée attestant non seulement d’une pollution effective du sol mais encore d’un travail de dépollution ne correspondant pas au rapport communiqué lors de l’échange et sur lequel toute l’information environnementale reposait. Les faits ne révélaient pas une simple pollution résiduelle pour lesquelles un risque accepté aurait été envisageable mais une pollution massive rendant le terrain inconstructible pendant plusieurs mois.

C’est bien ce décalage entre la réalité de l’état du sol et les affirmations du rapport de synthèse sur lequel reposait l’effet exonératoire de responsabilité de la clause qui pose difficulté. Le rapport technique laissait à penser que le terrain était exempt de pollution résiduelle ce qui n’était pas le cas.

La Haute Cour confirme donc la solution d’appel retenant la responsabilité contractuelle de la société Total Mayotte à l’égard du sous-acquéreur qui jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur. Il y a manquement à son obligation de délivrance en ce que le terrain n’était pas conforme à l’état de dépollution complète annoncé dans le rapport technique joint à l’acte d’échange. Dès lors sa responsabilité délictuelle doit également être retenue à l’égard du preneur.

Cette solution est conforme au droit positif qui retient que le vendeur d’un immeuble présenté comme dépollué est tenu de délivrer un bien conforme à cette caractéristique (Civ 3e, 29 févr. 2012, n° 11-10.318, D. 2012. 736 ; ibid. 1208, chron. A.-C. Monge, V. Guillaudier et I. Goanvic ; AJDI 2013. 453 , obs. F. Cohet-Cordey ; adde, Civ. 3e, 12 nov. 2014, n° 13-25.079).

La sévérité à l’égard du propriétaire-exploitant, professionnel connaissant parfaitement les risques de son activité, est une nouvelle fois confirmée (v. ant., Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-18.087, D. 2017. 1889 , note N. Rias ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; AJ contrat 2017. 450, obs. N. Kilgus , la connaissance du vice par le vendeur suffit à faire échec à l’application d’une clause de non garantie des vices cachés).

Peu importe donc que la clause comporte toutes les informations et explications utiles. Dès lors que ces dernières reposent sur un rapport technique erroné (sinon mensonger) au regard de la réalité, l’exonération de responsabilité ne saurait être retenue.

La tentative de démontrer ici que le cessionnaire connaissait et acceptait le risque d’une pollution résiduelle (v. Civ. 3e, 16 janv. 2013, n° 11-27.101, D. 2013. 676 , note O. Sutterlin ; ibid. 647, point de vue B. Parance ; AJDI 2013. 361 , obs. B. Wertenschlag et T. Geib ) pour s’exonérer de son obligation de délivrance est tenue en échec.

La clause se référant au rapport technique alourdit l’obligation du cédant. Alors qu’il n’était administrativement tenu qu’à une obligation de remise en état du site, le vendeur fait entrer dans le champ contractuel la notion de « dépollution complète du site ». Il se trouve alors tenu de délivrer un bien conforme à ce qu’il a annoncé. La solution incite donc tout exploitant à confier les opérations de remise en état à des prestataires dignes de confiance et à veiller à la qualité de rédaction des rapports.

On ne soulignera jamais assez combien la référence à la notion de « dépollution » alourdit considérablement les obligations du vendeur. C’est bien un résultat qui est attendu en matière environnementale et non seulement la mise en œuvre de moyens.

On remarquera en outre que les obligations civiles permettent à la Cour de cassation d’exiger plus que ce qu’impose le dispositif légal au titre de la remise en état des sites sur lesquels une ICPE a été exploitée.

La pollution rendant le sol inconstructible est un vice caché

La cour d’appel avait condamné la société Nel à indemniser l’acquéreur et le preneur pour manquement à son obligation de délivrance conforme. Elle avait en effet considéré que la parcelle destinée à la construction de parkings, commerces et bureaux s’était trouvée inconstructible pendant six mois en raison de la présence de la pollution par hydrocarbures, imputable au manquement de la société Total Mayotte à son obligation de délivrance d’un terrain dépollué.

L’arrêt est cassé au visa des articles 1603, 1604 et 1641 du code civil. Les deux premiers articles énoncent que le vendeur a l’obligation de délivrer une chose conforme à celle promise. Le troisième dispose que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine (…) ».

La Cour de cassation relève que la clause « de pollution » n’a pas été reprise dans l’acte de vente conclu entre la société Nel et la société Station Kaweni. Elle énonce alors que l’inconstructibilité du terrain est un vice caché de la chose vendue et non un défaut de conformité.

Le bien n’avait pas été présenté comme dépollué, dès lors le vendeur n’était pas tenu de délivrer un terrain conforme à cette caractéristique (v. en ce sens, Civ. 3e, 5 déc. 2012, n° 11-20.689).

Dans cette circonstance, la Haute Cour confirme ainsi une solution bien connue : l’inconstructibilité d’un terrain résultant de sa pollution constitue un vice du sol qui relève de la garantie des vices cachés (Civ. 3e, 9 oct. 2013, n° 12-14.502)

Les solutions juridiques retenues sont donc conformes au droit positif.

Il est rappelé qu’une clause d’information relative à la pollution d’un bien ne suffit pas à exonérer le vendeur de ses obligations. Au contraire, elle peut même les renforcer comme en l’espèce où l’obligation de délivrance conforme se hisse au niveau d’une dépollution complète, laquelle est entrée dans le champ contractuel par le biais du rapport technique annexé à l’acte d’échange. Nul besoin de mener une analyse comparée entre usage et affectation, puisque la conformité s’apprécie au regard de l’état dépollué du sol annoncé par l’exploitant. Au lieu de protéger le cédant, la clause s’avère compromettante.

La Cour de cassation met encore en évidence que cette information doit être conforme à la réalité des opérations menées sur le sol. Cela a pour effet de renforcer l’obligation de vigilance de l’exploitant à l’égard du processus de remise en l’état du terrain.

Enfin dès lors que le revendeur n’a pas repris la clause de dépollution dans l’acte de vente ultérieur, c’est la garantie des vices cachés qui doit s’appliquer à l’hypothèse du sol pollué. Cela a pour conséquence de faire supporter l’indemnisation des préjudices subis du fait de la pollution sur le seul exploitant-cédant.

 

Par Fabienne Labelle

Source : Civ. 3e, 30 sept. 2021, FS-B, n° 20-15.354.

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