Covid-19 et non-paiement des loyers commerciaux : contestation sérieuse
Posté le 1 février 2021
Si les dernières décisions rendues en matière de loyers commerciaux ont déclaré exigibles les loyers échus en période de covid-19 en rejetant l’exception d’inexécution, la force majeure ou le fait du prince invoqués par le locataire pour se soustraire au paiement des loyers (Grenoble, 5 nov. 2020, n° 16/04533, Dalloz actualité, 4 déc. 2020, obs. M. Pagès et S. Torrent ; JT 2021, n° 237, p. 12, obs. X. Delpech ; TJ Montpellier, 10 sept. 2020, n° 20/30974 ; TJ Paris, 17 juill. 2020, n° 20/50920) ; certaines décisions ont laissé sous-entendre que des arguments relevant du droit commun des contrats étaient susceptibles d’être opposés par le locataire à la demande en paiement du bailleur (TJ Paris, 18 sept. 2020, n° 20/54327 ; 26 oct. 2020, nos 20/55901 et 20/53713 ; 10 juill. 2020, n° 20/04516, Dalloz actualité, 21 juill. 2020, obs. M. Ghiglino ; AJDI 2020. 616, obs. M.-P. Dumont ; ibid. 549, point de vue J.-D. Barbier ; JCP E 2020, n° 45. 1447, comm. P.-H. Brault ; F. Kanderian, Le droit civil des contrats et le bail commercial en temps de crise : l’exemple de la covid-19, RTD com. 2020. 265 ; P.-H. Brault, Le bail commercial face aux nouvelles mesures d’urgence sanitaire. Des prescriptions sans ordonnances, JCP E 2020. Act. 789).
L’ordonnance de référé rendue le 21 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris s’inscrit dans la droite ligne de ces dernières décisions en apportant néanmoins des précisions sur de nouveaux arguments aux fins de neutraliser les sanctions relatives au non-paiement des loyers commerciaux dus au titre du troisième trimestre 2020.
En l’espèce, un locataire a souscrit un bail commercial pour des locaux dans lesquels une activité de restauration italienne sur place et à emporter est exploitée. En raison de l’état d’urgence sanitaire décrété à compter du 12 mars 2020, le restaurant n’a pu ouvrir. Le bailleur a par conséquent accepté de réduire de 50 % le montant du loyer sur la période du 15 mars au 22 juin de la même année. Postérieurement à cette période, le restaurant a réouvert. Mais l’activité a été affectée par des mesures de police administrative (distance entre les tables, l’interdiction d’asseoir des convives de groupes distincts à la même table). Le locataire a sollicité la poursuite des mesures de réduction du loyer. Les négociations ont échoué, le locataire a décidé de ne pas régler l’intégralité des loyers du troisième trimestre 2020.
Le bailleur a fait délivrer un commandement de payer le solde du loyer du troisième trimestre 2020 visant la clause résolutoire. Il a par la suite assigné le locataire devant la juridiction des référés en constat de l’acquisition de la clause résolutoire et en expulsion.
En réponse à ces demandes, le locataire soulève l’existence de contestations sérieuses faisant échec à la compétence du juge des référés.
Le juge des référés, dans l’ordonnance rendue le 21 janvier 2021, dit n’y avoir lieu à référé sur la demande d’acquisition de clause résolutoire et sur les demandes subséquentes. En effet, si dans un premier temps le juge constate en l’espèce l’existence de la clause résolutoire et rappelle que sa mise en œuvre suppose l’absence de contestation sérieuse, il considère que la première contestation soulevée par le locataire et relative à la fourniture d’une garantie bancaire autonome est sérieuse. Le locataire ne conteste nullement le fait de ne pas avoir fourni au bailleur de garantie bancaire dans le mois du commandement mais seulement le fait qu’il n’a pas à en fournir dans la mesure où, conformément aux stipulations contractuelles, un chèque a été remis au bailleur au lieu et place de cette garantie lors de la signature du bail.
Le cœur du litige concerne véritablement la seconde contestation relative aux loyers impayés.
À cet égard, il faut relever que les loyers impayés sont les loyers du troisième trimestre 2021 c’est-à-dire ceux qui couvrent la période de juillet à septembre 2020, période au cours de laquelle le restaurant était ouvert mais affecté par des mesures de police administrative issues du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020. De telles mesures n’ont pas permis au locataire d’exploiter correctement son restaurant, ce qui explique son refus de payer l’intégralité des loyers et ses nombreuses demandes auprès du bailleur pour adapter le montant des loyers, ce qu’il a refusé.
Pour se prononcer sur l’exception d’inexécution soulevée par le locataire (C. civ., art. 1217), le juge des référés a rappelé que les contrats doivent être exécutés de bonne foi (C. civ., art. 1104), ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. Autrement dit, et ce n’est pas la première fois que le tribunal judiciaire se prononce ainsi, le moyen tiré de l’exception d’inexécution doit être étudié, non pas à la lumière du respect par le bailleur de son obligation de délivrance, puisque le restaurant était ouvert au public, mais à la lumière de l’obligation pour les parties de négocier de bonne foi les modalités d’exécution de leur contrat (TJ Paris, 26 oct. préc. ; 18 sept. préc.). En effet, pour le juge des référés, la crise sanitaire, les répercussions qu’elle a engendrées sur l’exploitation du locataire (activité partielle) et les négociations qui ont échoué peuvent correspondre à des « circonstances exceptionnelles » nécessitant un aménagement des loyers dus pendant la période visée. Dès lors, l’action du bailleur en acquisition de la clause résolutoire se heurte à une contestation sérieuse.
En revanche, il semblerait que ce soit la première fois en cette période de crise sanitaire qu’un locataire soulève devant le juge des référés l’article 1195 du code civil relatif à l’imprévision pour s’opposer à un commandement de payer.
Dans la présente affaire, le juge des référés parisien relève que le maintien de mesures de police pendant la période de réouverture du restaurant n’a pas permis au locataire d’exploiter pleinement son activité ni d’amortir le coût des travaux d’aménagement du local loué, ce qui a incité le locataire à solliciter auprès de son bailleur des adaptations du montant du loyer sur la période de réouverture et à faire une demande de conciliation devant le tribunal de commerce.
En raison de ces éléments, le juge estime à juste titre que si le locataire peut se prévaloir de circonstances imprévisibles au sens de l’article 1195 du code civil (applicable aux baux conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2016), il appartient au juge du fond de déterminer si le locataire peut s’appuyer sur les dispositions de l’article 1195 du code civil pour demander une adaptation du contrat. Ainsi, la demande de paiement partiel des loyers fondée sur le droit commun des contrats ne relève pas de la juridiction des référés mais du juge du fond.
Si, en ce contexte de crise sanitaire, le juge des référés, à l’instar des dernières ordonnances de référés rendues à la matière, adopte une solution favorable pour le locataire, à dire vrai il semble s’agir d’une décision d’espèce et non de principe. Tout est affaire de circonstances. En effet, si le juge a constaté l’existence d’une contestation sérieuse dans la présente espèce, c’est en raison du comportement du locataire qui a témoigné de sa bonne foi en ayant réglé 50 % des loyers dus au troisième trimestre 2020, selon l’échéancier mensuel initialement accordé par le bailleur alors même que leur exigibilité totale est contestable (les lieux loués ne pouvaient être exploités correctement en raison des mesures de police administrative). Il a également conduit auprès de son bailleur des négociations au cours desquelles il n’a cessé de solliciter des adaptations du montant du loyer qui lui ont été refusées. C’est pourquoi, il a saisi le tribunal de commerce d’une demande de conciliation. Cette analyse sous-tend que le juge aurait adopté une solution contraire si le locataire n’avait pas entrepris des négociations et qu’il s’était soustrait à son obligation de règlement des loyers (TJ Paris, 10 juill. préc.).
Cette décision du tribunal judiciaire de Paris met en exergue un nouveau fondement pouvant être opposé par les locataires à une demande d’acquisition de la clause résolutoire liée au non-paiement des loyers du troisième trimestre 2020 : l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, qui s’applique aux entreprises de moins de 250 salariés avec un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros et une perte de chiffre d’affaires de plus de 50 % au titre du mois de novembre 2020 (décr. n° 2020-1766, 30 déc. 2020).
Pour le juge des référés parisien, cet article 14 justifie à lui seul l’existence d’une contestation sérieuse. En effet, selon ce texte, « toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, à l’encontre des locataires pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives est réputée non écrite ». En somme, l’article 14 neutralise toutes sanctions liées au non-paiement des loyers et charges.
Ce texte, entré en vigueur le 17 octobre 2020 et applicable aux procédures en cours, est un moyen de défense judicieux pour les locataires en matière de loyers dus au titre du troisième trimestre 2020. Il offre jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l’activité cesse d’être affectée par une mesure de police une immunité aux locataires qui remplissent les conditions prévues par la loi et son décret d’application.
Dans la présente ordonnance, le juge des référés estime que l’article 14 est applicable : le locataire fait partie des personnes protégées par les dispositions, son activité est affectée par une mesure de police et la demande relative à l’acquisition de la clause résolutoire, visée par le commandement du 16 juillet 2020, introduite par le bailleur devant le juge des référés entre dans le champ des actions et sanctions visées par l’article 14.
Cette mesure, bien qu’elle soit plus protectrice du locataire et plus précise, doit être rapprochée de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, pour lequel les juges parisiens, dans un jugement du 10 juillet 2020, ont rappelé que les dispositions n’ont pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux, mais uniquement interdit au bailleur de recourir à des voies d’exécution forcée en vue de leur recouvrement pour la période de confinement du 12 mars au 23 juin 2020 (M.-P. Dumont, art. préc. ; TJ Paris, 10 juill. 2020, n° 20/04516, préc.).
Enfin, s’agissant de la demande en provision du bailleur correspondant aux impayés de loyers des troisième et quatrième trimestres 2020, le juge des référés déboute le bailleur de sa demande au motif que la contestation sérieuse portant sur le montant des loyers impayés vaut pour la demande de provision.
L’ordonnance de référé du 21 janvier 2021 rapportée livre un enseignement intéressant en matière de loyers « covid-19 » au titre du troisième trimestre 2020 : les locataires, concernés par les dispositions, ont en leur possession une arme qui paralyse en elle-même l’action en constatation de l’acquisition d’une clause résolutoire pour non-paiement des loyers ainsi que toute action, sanction ou voie d’exécution forcée pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives pendant une période déterminée.
Néanmoins, il faut garder à l’esprit que cette protection n’est que temporaire. Les sanctions « seront réactivées et prendront effet à l’expiration du délai » (F. Danos, Le paiement des loyers relatifs aux baux commerciaux et la crise du covid-19, JCP E 2020. 1179). Les locataires ne sont pas libérés du paiement de leurs loyers.
Par Sarah Andjechaïri-Tribillac
Source : TJ Paris, réf., 21 janv. 2021, n° 20/55750.
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