Succession bloquée : que prévoit la loi ?
Posté le 11 septembre 2020
Option successorale : accepter ou renoncer
L’option successorale est le droit pour toute personne appelée à une succession d’accepter ou de refuser cette succession. Le principe général posé par le Code civil [article 768] est que nul n’est obligé d’accepter une succession, une donation ou un legs.
Trois solutions se présentent alors :
- accepter purement et simplement, soit de manière expresse, par le biais d’un acte notarié ou sous signature privée, soit de manière tacite, en accomplissant des actes qui manifestent l’intention d’accepter (par exemple, un acte portant cession de ses droits dans la succession au profit d’un cohéritier) ;
- accepter à concurrence de l’actif net (démarche appelée auparavant "acceptation sous bénéfice d’inventaire"), qui nécessite d’effectuer une déclaration auprès du greffe du tribunal compétent ;
- ou renoncer, une option qui doit être obligatoirement exprimée auprès du greffe du tribunal compétent.
Par exception, le légataire à titre particulier, à savoir l’héritier qui reçoit un bien clairement défini dans le testament, n’est pas tenu de payer les dettes du défunt. Il a donc seulement le choix entre accepter purement et simplement ou renoncer.
Des conflits familiaux peuvent être à l’origine du silence d’un héritier. Or, ce silence est source de blocage, puisque certains actes relatifs à la gestion des biens indivis composant l’actif successoral ou l’éventuel partage de ces biens doivent être approuvés par l’ensemble des héritiers. Afin d’éviter que ces situations de blocage ne durent trop longtemps, la loi prévoit des garde-fous. D’une part, le délai maximal pour se prononcer est de 10 ans, faute de quoi l’héritier est considéré comme renonçant. D’autre part, les cohéritiers, ainsi que les créanciers de la succession, sont autorisés à réagir bien avant le terme de ces 10 ans. En effet, passé un délai de 4 mois après le décès, ils peuvent, par acte d’huissier, sommer l’héritier muet de se prononcer dans un délai de 2 mois. Faute de réponse au terme de ce délai, son silence vaut acceptation pure et simple.
Désaccord sur le choix du notaire
Le recours au notaire pour le règlement d’une succession est un passage obligé dès lors que celle-ci comporte des biens immobiliers. Il est également recommandé, mais non obligatoire, lorsque la succession est importante et/ou implique plusieurs personnes.
Le choix du notaire est donc important, et, sur ce plan, les héritiers ont une totale liberté pour désigner le notaire qui sera chargé de gérer et de régler la succession. Ils peuvent choisir un notaire commun ou prendre chacun un notaire. Un seul notaire sera toutefois responsable du règlement proprement dit de la succession. Les autres notaires auront alors un rôle de conseil et d’assistance auprès de leurs clients.
S’il y a litige entre les héritiers concernant le choix du notaire, le règlement national des notaires [article 61] prévoit que la préférence est dévolue dans l’ordre suivant :
- au notaire choisi par le conjoint survivant qui n’a pas été privé de tous droits successoraux (ou du partenaire pacsé venant à la succession en l’absence d’héritier réservataire),
- au notaire choisi par les héritiers réservataires,
- au notaire choisi par les légataires universels,
- au notaire choisi par les héritiers non réservataires.
À égalité de rang, le notaire représentant le plus fort intérêt pécuniaire prévaudra.
Un héritier bloque la gestion ou la vente d’un bien
Après le décès, les biens du défunt appartiennent en commun à ses héritiers, sans que les parts respectives de chacun ne soient matériellement individualisées : c’est l’indivision. Celle-ci prend fin lorsqu’il est procédé au partage des biens, lequel peut parfois être effectué des années plus tard.
Rappel |
Les légataires particuliers ne font pas partie de l’indivision. |
De façon générale, un indivisaire ne peut disposer seul d’un bien (par exemple, le transformer ou le vendre) sans le consentement des autres et l’accord de tous les indivisaires est requis pour certains actes [article 815-3 du Code civil]. Tout au plus, un indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens, même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence [article 815-2]. Les héritiers ont néanmoins le choix d’organiser ou non cette indivision plus ou moins forcée dans laquelle ils se retrouvent en établissant notamment une convention d’indivision [article 815-1 du Code civil].
Hors convention, la loi prévoit que les titulaires d’au moins 2/3 des droits indivis peuvent accomplir, à cette majorité, des actes importants, comme par exemple des actes d’administration, confier un mandat général d’administration, conclure des baux, ou encore vendre des meubles indivis pour payer des dettes [article 815-3 du Code civil].
De même :
- en cas de blocage dans la gestion des biens indivis, une autorisation judiciaire peut être obtenue afin de passer outre au refus de l’un des héritiers de consentir à un acte de gestion lorsque ce refus met en péril l’intérêt commun [article 815-5 du Code civil],
- la vente d’un bien indivis peut être autorisée par le tribunal judiciaire, sous certaines conditions et selon des modalités précises (procédure durant 4 mois), à la demande de l’un ou des indivisaires titulaires d’au moins 2/3 des droits indivis [article 815-5-1 du Code civil],
- le président du tribunal judiciaire peut prescrire toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun à la demande d’un ou plusieurs indivisaires [article 815-6 du Code civil].
Enfin, il existe depuis 2007 une solution complémentaire, le mandat successoral, permettant de confier provisoirement à une personne morale ou physique l’administration des biens composant une succession "en raison de l’inertie, de la carence ou de la faute d’un ou plusieurs héritiers dans cette administration, de leur mésentente, d’une opposition d’intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale" [article 813-1 du Code civil]. Il revient au juge de désigner cette personne à la demande d’un héritier, d’un créancier, de la personne qui administrait tout ou partie du patrimoine du défunt quand celui-ci était encore en vie, ou de toute autre personne intéressée. Le juge fixe la durée de la mission et la rémunération. Sauf accord du juge, les pouvoirs du mandataire se limitent aux seuls actes purement conservatoires et de surveillance et aux actes d’administration provisoire. Dès lors qu’elle est enclenchée, la procédure de désignation d’un mandataire successoral est en principe rapide puisque le tribunal statue selon la procédure accélérée au fond (anciennement "en la forme de référés") [article 1380 du Code de procédure civile].
Désaccord pour l’évaluation des biens
L’évaluation des biens est importante puisqu’elle va aider à déterminer la masse successorale et à formaliser les parts et les lots qui seront attribués à chacun des héritiers. Elle servira aussi à déterminer la base de calcul, d’une part, des frais de notaire et, d’autre part, des droits de succession. Une estimation trop élevée par rapport à la valeur du marché générera automatiquement des frais plus élevés, et inversement, une sous-estimation peut faire courir, sur le plan fiscal, le risque d’un redressement.
Dès lors qu’une succession est mise entre les mains du notaire, il lui revient de procéder à l’inventaire des biens et à leur évaluation, suivant des règles précises selon qu’il s’agit d’immeubles, de biens meubles, d’objets de collection ou encore de valeurs mobilières. Il peut, à sa demande ou à la demande des héritiers, recourir à un expert si la situation l’exige. Cette solution engendrera des frais supplémentaires.
Si les héritiers ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la valeur d’un bien, le juge, saisi par l’un des héritiers, peut désigner un expert.
Désaccord concernant l’attribution des lots lors du partage
La succession fait naître une indivision qui ne rencontre souvent pas l’adhésion des héritiers. En effet, ces derniers souhaitent généralement rapidement prendre pleinement possession des biens susceptibles de leur être attribués. Et n’oublions pas que le Code civil pose comme principe général que "nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision" [article 815 du Code civil].
Les héritiers peuvent donc charger le notaire de préparer le partage. Si, dans les premières étapes du règlement de la succession, la question de l’évaluation des biens et celle de la prise en compte ou pas des donations antérieures (appelée aussi "rapport des donations") sont souvent source de conflits, par la suite, la composition des lots peut également entraîner des différends entre les copartageants.
La loi laisse aux intéressés le soin de se mettre d’accord pour se répartir les biens de la succession pourvu que chacun reçoive une part égale à ses droits. Lorsque le climat entre les héritiers le permet, les héritiers peuvent bien évidemment aider le notaire à la composition des lots. Les inégalités entre les lots sont compensées généralement par une soulte, à savoir une somme d’argent, payée au comptant en principe.
A propos des scellés |
Pour des raisons diverses, il n’est pas rare, à la suite d’un décès, que certains proches du défunt décident de se saisir de meubles, de bijoux de famille, de tableaux, de voitures ou d’autres objets dotés d’une valeur économique ou simplement sentimentale qu’ils considèrent leur revenir. Les dissimulations, appropriations et détournements, qualifiés de recel successoral, sont sanctionnés par le Code civil [article 778]. Afin d’éviter que la succession ne soit vidée de ses biens, documents importants ou valeurs, l’apposition de scellés sur le ou les biens appartenant au défunt peut être demandée en urgence au juge [articles 1304 et suivants du Code de procédure civile]. La démarche peut permettre de prévenir les risques de déchirement entre les héritiers, elle s’avère en tout cas nécessaire en cas de conflit familial avéré. Le Code de procédure civile énumère la liste des personnes qui peuvent demander au juge la mise sous scellés :
La demande est portée devant le président du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est ouverte la succession, lequel rend, le cas échéant, une ordonnance qui sera exécutée par un huissier de justice. |
L’attribution préférentielle, ou comment le droit peut régler de fait l’attribution de certains biens
L’attribution préférentielle a pour objet d’allotir un des héritiers d’un bien particulier [articles 831 et suivants du Code civil]. L’avantage peut profiter au conjoint survivant comme à tout autre héritier appelé à la succession, mais l’attribution n’est pas automatique. En effet, l’héritier qui la revendique doit expressément en faire la demande auprès du tribunal, lors de l’ouverture de la succession ou au moment du partage des biens. En outre, il sera normalement amené à indemniser les autres héritiers en leur versant une soulte si cette attribution dépasse en valeur la part à laquelle il a droit.
Le Code civil limite le champ d’application de l’attribution préférentielle à la résidence principale (propriété ou droit au bail) et aux droits et biens nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle du défunt, que celui-ci ait été commerçant, industriel, artisan, professionnel libéral ou exploitant agricole.
L’attribution préférentielle est de droit pour le conjoint survivant s’agissant du logement qu’il occupe de façon effective à titre de résidence principale ; les autres héritiers peuvent donc difficilement s’y opposer. Le partenaire liée par un PACS avec le défunt peut revendiquer l’attribution préférentielle du logement commun lorsque celle-ci est expressément prévue par testament ou dans une convention d’indivision. À défaut, le partenaire peut en faire la demande, lorsque le logement commun est indivis.
L’attribution préférentielle est également de plein droit pour le conjoint survivant ou les autres héritiers s’agissant des petites exploitations agricoles. Pour les autres types d’exploitation agricole, elle peut l’être aussi dès lors que ces derniers poursuivent l’activité sous diverses conditions.
S’agissant d’une entreprise, commerciale ou artisanale par exemple, l’attribution est facultative. En outre, l’héritier qui la revendique doit avoir participé de façon effective à l’activité de ladite entreprise. Le juge apprécie souverainement en fonction notamment des intérêts en présence, des aptitudes du demandeur à gérer et de ses capacités à faire face au paiement éventuel de la soulte.
Si l’entreprise est exploitée sous forme de société, l’attribution préférentielle des parts ou actions se fait sous réserve de l’application des dispositions légales ou statutaires pouvant restreindre l’entrée du conjoint survivant ou des héritiers dans le capital social.
L’attribution éliminatoire, ou comment éviter le partage judiciaire
L’attribution éliminatoire permet d’attribuer sa part à un indivisaire qui en fait la demande tout en laissant les indivisaires qui le souhaitent dans l’indivision [article 824 du Code civil]. Le tribunal peut accéder à cette requête en fonction des intérêts en présence.
Si les biens ne sont pas partageables en nature ou si les ressources financières de l’indivision sont insuffisantes, les coïndivisaires souhaitant demeurer dans l’indivision doivent verser une soulte à l’indivisaire demandant le partage.
Le partage judiciaire, la solution ultime à défaut d’accord
À défaut d’accord entre les héritiers sur un partage amiable ou en cas de refus de l’un des indivisaires de consentir au partage, la sortie de l’indivision doit passer par les voies judiciaires [articles 840 et suivants du Code civil]. La procédure de partage judiciaire est dominée par un lourd formalisme et peut durer plusieurs années, en fonction de l’âpreté des conflits et de la complexité des situations. Elle génère bien évidemment moults frais supplémentaires.
En pratique, si la situation est simple, le tribunal, après examen du dossier, peut ordonner un partage et renvoyer les héritiers devant un notaire qui procédera aux différentes formalités.
Si la complexité des opérations le justifie, le tribunal désigne un notaire (choisi par les copartageants ou, à défaut d’accord, par le tribunal lui-même) pour procéder aux opérations de partage et il commet un juge pour surveiller ces opérations. Le notaire peut s’adjoindre les services d’un expert, choisi par les copartageants ou, à défaut d’accord, désigné par le tribunal, et peut solliciter du tribunal toute mesure de nature à faciliter le déroulement de son action. Le notaire dispose d’un délai d’un an (éventuelle prorogation d’un an au maximum) pour opérer et déterminer la composition des lots à répartir, à la suite de quoi le tribunal peut homologuer l’accord intervenu entre les héritiers ou, à défaut, ordonner un tirage au sort. Si le tirage au sort est impossible (par exemple : un seul appartement à partager), le tribunal peut ordonner la vente aux enchères des biens.
Il n’est pas inutile de préciser que les copartageants peuvent à tout moment mettre fin à la procédure de partage judiciaire et conclure une convention amiable.
Rôle du notaire et assistance d’un avocat
Le rôle du notaire est indéniablement important en matière de succession, puisqu’il a la charge de dresser l’inventaire, d’établir des attestations, d’accomplir certains actes, d’aider à la déclaration de succession, et de procéder, le cas échéant, au partage des biens compris dans la succession. Si le notaire a le devoir d’assister et de conseiller les parties tout au long du règlement de la succession, il a avant tout un rôle d’arbitre et n’a pas à défendre les intérêts des héritiers individuellement.
Le recours à un avocat peut donc s’avérer judicieux. Outre le fait de conseiller et d’assister, notamment lors du choix de l’option successorale et dans les relations avec le notaire, il défendra également les intérêts de son client héritier dans la réalisation du partage amiable. De plus, l’assistance d’un avocat est obligatoire pour une procédure de partage judiciaire.
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